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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

et des babioles destinées à la traite avec les sauvages. Les ressources naturelles qu’offraient Port-Royal en faisaient le quartier-général de cette bande d’aventuriers moitié cultivateurs, moitié coureurs des bois ; c’était le pivot sur lequel tournaient toutes les opérations, tant il est vrai qu’il ne peut y avoir de colonie sans l’agriculture. Nous voyons que, en 1618, Biencourt fit demander en France, et notamment aux autorités de la ville de Paris, des colons auxquels il promettait un établissement avantageux, mais il ne paraît pas qu’on ait répondu à son appel. Force lui fut donc de recourir plus que jamais au trafic, qui était, dit-on, assez facile.

L’attention des armateurs était néanmoins fortement attirée vers l’Amérique du Nord. Au moment où commençait la guerre de Trente Ans (1618), et où la France, agitée par les révoltes des princes, allait passer aux mains de Richelieu, il se forma deux compagnies (1619) dont l’une fut autorisée à faire la pêche côtière et l’autre à trafiquer des fourrures avec les sauvages de l’Acadie. Ce dernier nom s’étendait du Maine, en suivant les côtes, jusqu’à Gaspé. Les pêcheurs s’établirent à Miscou ; les traiteurs à la rivière Saint-Jean. Trois récollets furent envoyés à Miscou, Port-Royal et Saint-Jean, tant pour assister les Français que prêcher les Sauvages[1]. La demande de Biencourt (1618) n’avait pas dû être étrangère à ces entreprises.

Le 9 novembre 1620, les Pilgrim Fathers arrivaient en vue du Cap Cod, commençant la colonie du Massachusetts.

En 1621, huit ( ?) cents vaisseaux, dit-on, allaient et venaient de l’Acadie en France « avec trente pour cent de profit de la pêche pour chaque voyage. »

Il n’y avaient pas que les Français dans le commerce de ces régions. Les Anglais et les Écossais y prenaient part, et refusaient de reconnaître à la France aucune juridiction sur le pays. Au mois de septembre 1621, sir William Alexander de Menstrie[2], obtint du roi Jacques i la concession de toute l’Acadie, sous le nom de Nouvelle-Écosse, et dressa un vaste plan de colonisation (approuvé par Charles i en 1625), qui consistait à diviser sa principauté en cent cinquante seigneuries ou fiefs de trois à six milles de front au rivage pour être concédés à des gentilshommes (on devait leur donner le rang de baronnet) qui, à leur tour, les distribueraient en lots tenus en censive[3]. La réalisation de ce projet eut dépassé de beaucoup ce qui s’est fait dans le bas Canada, où la compagnie de la Nouvelle-France abandonna les seigneurs à leur seule bonne volonté.

Les visites de sir William en Acadie (1622, 1623) et sa tentative de prendre possession du pays au nom du roi d’Angleterre jetèrent l’alarme parmi les Français. Biencourt venait

  1. Hannay : History of Acadia, 109.
  2. Né en Écosse (1580) ; fait chevalier en 1614 ; secrétaire d’État pour l’Écosse (1626} ; nommé pair du royaume, en 1630, sous le nom de vicomte de Stirling ; comte de Stirling en 1633 ; mourut en 1640. Ses poèmes et ses tragédies lui avaient donné une célébrité passagère.
  3. Sur les armes de sir William Alexander, quelques historiens anglais disent qu’on avait figuré un castor, mais il est facile de s’assurer que c’est un ours. La plus ancienne mention connue du castor comme emblème est de 1673, dans une lettre de Frontenac.