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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Au moment où Poutrincourt se préparait à reprendre la route de Port-Royal, une circonstance inattendue se présenta et lui devint fatale. Le prince de Conti s’agitait dans la Champagne ; il avait même pris les armes. Au nom du roi (alors âgé de quatorze ans) on fit appel à l’énergie et à l’influence personnelle de Poutrincourt, qui était de la Champagne et fort considéré dans cette partie du royaume. Le vieux soldat se mit à la tête de la milice provinciale. « Non seulement, dit M. Rameau, il obéissait ainsi à sa nature généreuse et guerrière, mais il espérait sans doute trouver, dans cette intervention énergique de sa bravoure, l’occasion d’obtenir quelque puissant concours pour cet établissement d’outre-mer qui lui tenait si profondément au cœur ; car son dessein bien arrêté était de finir ses jours à Port-Royal en y fixant sa famille. » Il y a lieu de croire qu’il avait été nommé gouverneur de Méry-sur-Seine, mais il eut à assiéger la place pour s’en rendre maître. En livrant un assaut, le 5 décembre 1615, il y fut tué. Les soldats, qui le chérissaient, élevèrent à l’endroit où il succomba glorieusement, une croix de pierre, qui porte encore à présent le nom de Croix de Poutrincourt. L’ainé de ses fils, Jean, paraît s’être éteint sans alliance. Charles, le second fils, plus connu sous le nom de Biencourt, était en Acadie depuis 1610. Jacques de Biencourt, troisième garçon, continua la lignée de cette famille, dont le dernier descendant a péri vers 1783, sur la frégate la Diane. D’une autre branche des Poutrincourt, qui remonte à l’année 1400, il reste Charles-Marie-Christian, marquis de Biencourt, qui a épousé Élizabeth de Fitz-James, et leurs enfants, Armand et Pierre, représentent aujourd’hui la vingt-quatrième génération du premier seigneur connu de cette famille — commençant vers 1050[1].

La mort de Poutrincourt rompait ses projets et ceux de son fils, car celui-ci ne devait plus compter que sur lui-même et ses moyens pécuniaires, — son influence parmi les bailleurs de fonds était nul. Sans se décourager, néanmoins, il resta à son poste et se prépara à braver la fortune. Ses relations avec la France cessèrent presque tout à fait.

On ne voyait à Port-Royal aucune famille française, mais il semble certain que plusieurs métissages avaient déjà eu lieu, bien que la chose ait été contestée. Les éléments d’un poste colonial existaient d’ailleurs dans l’expérience des hommes formés à la rude école des années précédentes. Des logements commodes s’élevaient. La culture était en voie de prospérité. Le moulin à farine et un moulin à scie fonctionnaient. Les bestiaux se maintenaient. Le commerce avait pris une bonne direction. À l’aide de signaux on attirait les navires de passage qui livraient des produits manufacturés en Europe en échange des pelleteries. Bientôt une station permanente fut établie au Cap-Fourchu, Yarmouth aujourd’hui, et prit le nom de fort Lomeron. D’autres postes volants commencèrent à la Hêve et au Cap-Sable. En attendant des jours plus heureux, c’étaient là des noyaux d’établissements très appréciables.

La continuité de l’occupation française sur ces côtes ne saurait être contestée. Les navires de la baie de Biscaye et même de la Normandie fréquentaient ces postes et en retiraient des cargaisons de fourrures en retours desquelles ils livraient des armes, des vêtements, des outils

  1. Voir La Revue Canadienne, 1882, p. 621-32.