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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

vaisseau, qui n’est ici que du 13 de ce mois, pour aller en France quérir des farines, afin d’en avoir en réserve pour le temps de la nécessité, car elles se gardent ici plusieurs années quand elles sont bien préparées, et quand le pays en sera fourni on ne craindra pas tant ce fléau. Ce vaisseau fera deux voyages cette année, ce qui est une chose bien extraordinaire, car quelque diligence qu’il fasse, il ne peut être ici de retour qu’en octobre, et il sera obligé de s’en retourner sans s’arrêter. »

Dans son Journal historique, Charlevoix dit : « Il fallut, pour se garantir de la fureur des Iroquois, construire sur chaque paroisse des espèces de forts où les habitants pussent se réfugier à la première alarme. On y entretenait, nuit et jour, un ou deux factionnaires, et tous avaient quelques pièces de campagne, ou tout au moins quelques pierriers, tant pour écarter l’ennemi que pour avertir les habitants d’être sur leurs gardes, ou pour demander du secours. Ces forts n’étaient que de grands enclos fermés de palissades, avec quelques redoutes ; l’église et la maison du seigneur y étaient enfermées, et il y avait encore assez d’espace pour y retirer, en cas de besoin, les femmes, les enfants et les bestiaux. C’en était assez pour se mettre hors d’insulte, et je ne sache pas que les Iroquois aient jamais pris aucun de ces forts. »

M. Boucher, partant pour la France, l’automne de 1661, se proposait de demander six cents nouveaux colons. On fut étonné, à Paris, en apprenant que les Français trouvaient au Canada de quoi se nourrir. Parlant du commissaire envoyé à la suite de ce voyage (1662), la mère de l’Incarnation dit : « Après que ce gentilhomme eut examiné toutes choses, il est tombé d’accord sur tout ce que M. le gouverneur (d’Avaugour) avait mandé au roi, et que M. Boucher lui avait confirmé de bouche, que l’on peut faire en ce pays un royaume plus grand et plus beau que celui de France. Je m’en rapporte (je ne juge pas d’après ma propre opinion), mais c’est le sentiment de ceux qui disent s’y connaître. Il y a des mines en plusieurs endroits[1], les terres y sont fort bonnes ; il y a surtout un grand nombre d’enfants. Ce fut un des points sur lesquels le roi questionna le plus M. Boucher, savoir si le pays était fécond en enfants. Il l’est, en effet, et cela est étonnant de voir le grand nombre d’enfants très beaux et bien faits, sans aucune difformité corporelle, si ce n’est par accident. Un pauvre homme aura huit enfants et plus qui l’hiver vont nu-pieds et nu-tête, avec une petite camisole sur le dos, qui ne vivent que d’anguilles et d’un peu de pain ; et avec cela ils sont gros et gras. » Quelques jours auparavant (6 novembre 1662), elle avait écrit ce passage qui montre bien la négligence de l’administration et les misères qu’enduraient les gens assez courageux pour se rendre au Canada : « L’on vient de me donner avis qu’une chaloupe va partir pour aller trouver les vaisseaux du roi, qui se sont arrêtés à soixante lieues d’ici, sans qu’on ait jamais pu faire obéir le capitaine, quoiqu’on lui ait commandé de la part du roi de venir à Québec. Il s’excuse sur la saison, qu’il dit être trop avancée, aucun navire n’ayant jamais monté si tard jusqu’à Québec, ajoutant que son vaisseau étant de quatre cents tonneaux, il risquerait trop dans le fleuve. Mais la véritable raison est qu’il a peur qu’on ne le châtie de sa mauvaise conduite dans le temps de sa navigation, il a fort maltraité le gentilhomme

  1. Les mines de fer de la Baie-Saint-Paul et du Cap-de-la-Madeleine étaient alors connues.