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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

(M. Dumont) que Sa Majesté envoie pour reconnaître le pays, comme aussi M. Boucher qui était le porteur des lettres du roi, et enfin tous les passagers qu’il a presque fait périr de faim et de soif, comme en effet il en est mort près de quarante. Il n’avait des vivres que pour deux mois, et il en a été quatre en chemin. Il a aussi arrêté, au même lieu, l’autre vaisseau qui n’étant qu’une flute, eût pu monter jusqu’ici et s’en retourner même après la Saint-Martin, d’autres semblables en étant partis plus tard les années dernières. »

M. d’Avaugour, connaissant mieux le pays et voyant que le roi y prêtait quelque attention, dressa un plan de défense pour l’exécution duquel il demandait trois mille soldats. Il est malheureux que Colbert n’ait pu nous envoyer cette force, ou qu’il ait pensé obtenir les mêmes résultats au moyen d’un seul millier d’hommes qu’il nous fournit de cette classe, trois années plus tard.

L’été de 1662, les Iroquois avaient parlé de paix, sachant bien qu’on les prendrait au mot. Ce stratagème leur réussissait toujours. Ils profitaient des temps de repos ainsi obtenus pour réorganiser leurs forces. Un Huron naturalisé Iroquois, qui visita nos établissements l’automne de 1663, s’aperçut de ce qui se passait — les secours arrivaient de France — et il donna l’alarme aux Cinq-Nations. De suite, les hostilités furent reprises. L’année 1664 se passa en attaques — et en pourparlers ; car les Iroquois ne menaient jamais la guerre sans tenir des conférences avec ceux qu’ils voulaient détruire. Les massacres continuaient donc entre chaque réunion de parlementaires ; les chefs iroquois disaient, comme d’habitude, que ces mauvais coups étaient le fait de la folle jeunesse qu’aucune injonction des tribus ne pouvait arrêter.

M. d’Avaugour écrivit un mémoire au sujet des fortifications dont le pays avait besoin. Il indiquait les points naturellement forts de la contrée, et qu’il suffisait de protéger pour tenir l’ennemi en échec. Ses vues sont encore praticables aujourd’hui, quoique les circonstances aient bien changé. On n’a pas assez rendu justice à ce gouverneur, qui avait quarante années d’expérience dans les choses militaires, et qu’un pur patriotisme animait. Ses désaccords avec Mgr de Laval ont aveuglé les historiens. Il n’entendait pas voir l’État gouverné par des prêtres — il avait raison.

Colbert fut frappé des rapports de cet homme de mérite ; il résolut de faire passer trois cents émigrants par année au Canada, et de placer chez les vieux habitants ceux qui ne connaissaient point l’agriculture, afin de les former, durant au moins deux ans, au travail de la terre, et les mettre ensuite à leur compte particulier. Le roi, plein d’ardeur, approuvait ces projets. On décida de faire embarquer (1663) deux mille soldats, et de les licencier le plus vite possible dans la colonie. Mais la guerre des Turcs rompit ce dessein. Louis XIV, qui cherchait un expédient propre à humilier la maison d’Autriche, profita du péril où se trouvait l’empereur : il lui envoya de bonnes troupes, afin de gagner des batailles et de se constituer son auxiliaire tout-puissant. C’est ce qui arriva. Le Canada ne reçut que trois cents colons, et, sur ce nombre, peu ou point de militaires.

« Le Saint-Laurent, écrivait M. d’Avaugour en 1663, est l’entrée d’un pays qui pourrait