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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

poles qui prenaient possession du pays. Talon écrivait à Colbert (4 août 1665) : « Si Sa Majesté veut faire quelque chose du Canada, il me paraît qu’elle ne réussira qu’en le retirant des mains de la compagnie des Indes Occidentales, et qu’on y donne une grande liberté de commerce aux habitants, à l’exclusion des seuls étrangers. Si, au contraire, elle ne regarde ce pays que comme un lieu de commerce, propre à celui des pelleteries et au débit de quelques denrées qui sortent du royaume, l’émolument qui en peut revenir ne vaut pas son application, et mérite très peu la vôtre. Ainsi, il semblerait plus utile d’en laisser l’entière direction à la Compagnie, en la manière qu’elle a celle des îles. Le roi, en prenant ce parti, pourrait compter de perdre cette colonie ; car sur la première déclaration que la compagnie a faite, de ne souffrir aucune liberté de commerce et de ne pas permettre aux habitants de faire venir pour leur compte des denrées de France, même pour leur subsistance, tout le monde a été révolté. La compagnie, par cette conduite, profitera beaucoup en dégraissant le pays, et non-seulement lui ôtera le moyen de subsister, mais sera un obstacle essentiel à son établissement. »

Les Cent-Associés avaient encore un agent au Canada, Louis Péronne Dumesnil sieur de Mazé, capitaine de la garnison du fort de Québec, autrefois avocat au parlement de Paris, personnage madré et retors[1], qui avait eu maille à partir avec MM. de Villeray, d’Auteuil et Bourdon, alors que ces derniers appartenaient à la compagnie en question. Dumesnil avait réussi à capter la confiance de M. de Mézy, et lui représentait que ces trois conseillers étaient des gens dangereux venus aux jésuites et à Mgr de Laval — ce qui voulait dire la même chose. Or, les conseillers étaient à la nomination de l’évêque et du gouverneur, et il ne fallait pas être grand sorcier pour comprendre que ces deux influences pouvaient se combattre à un moment donné. M. de Mézy renvoya les trois conseillers, ce qu’il n’avait pas le droit de faire ; aussi fut-il obligé de les reprendre aussitôt. Mais au mois de septembre 1664, l’année étant expirée, il voulut encore les changer. L’évêque tint ferme et dit qu’il fallait attendre M. de Tracy, le vice-roi nommé pour l’Amérique. C’était le plus sage, puisque le pouvoir allait passer aux mains de ce haut fonctionnaire. M. de Mézy trancha la question, mais non la difficulté, en nommant (24 septembre) Nicolas Denis sieur de Vitré, ancien gouverneur de l’Acadie ; Jacques des Cailhaut sieur de la Tesserie et Péronne de Mazé, fils de Louis ci-dessus ; il gardait, comme bons serviteurs du roi, Charles Le Gardeur de Tilly et Mathieu Damours. Il nomma M. de Lotbinière procureur-général, et démit Peuvret de sa charge de greffier, qu’il donna à Michel Filion, notaire royal. De plus, il fit arrêter Villeray et Bourdon et les embarqua sur un navire qui partait pour la France. Bientôt après, le gouverneur tomba malade, et, avant que de recevoir des nouvelles de France, il fit sa paix avec l’évêque. Le 27 avril, il donna à son ami Jacques Leneuf de la Potherie (tous deux étaient de Caen) une commission pour le remplacer en cas de mort ; mais le conseil ne voulut reconnaître à M. de la Potherie que le droit de s’occuper des milices (25 mai 1665), et lui refusa la présidence.

  1. Voir dans l’annuaire de l’Institut-Canadien de Québec, 1879, l’étude de M. T.-P. Bédard sur les difficultés entre Mgr de Laval et M. de Mézy.