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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

c’est comme par miracle qu’il atteignit Michillimakinac, où le magasin de la Salle venait de tomber en proie à des voleurs ou à des ennemis très habiles. Parti de Crèvecœur le 11 septembre 1680, Tonty avait passé l’hiver malade à la baie des Puants et arrivait à Michillimakinac le jour de la Fête-Dieu 1681. Deux mois plus tard, la Salle, qui suivait sa trace, se présenta avec des nouvelles : Crèvecœur et Saint-Louis étaient de nouveau occupés par les Français. À mesure qu’un désastre ou un malheur s’abattait sur lui, la Salle redoublait de vigueur et de résolution. Ses marchandises pillées sur le lac Ontario ; ses engagés désertant avec armes et bagages ; les critiques de ses ennemis ; les restrictions de la cour ; l’opposition du gouverneur-général ; le danger de la guerre des Iroquois — rien ne l’arrêtait. Il allait, allait toujours, ne connaissant que sa pensée et voulant la suivre où elle l’appelait. Ce fut l’un des hommes les plus fièrement trempés de son temps, toutefois, s’il était de fer il était aussi cassant — et ses infortunes finissent par ne plus nous étonner.

Le père Membré, Tonty et la Salle voguèrent sans tarder vers le Saint-Laurent. La Salle les laissa avant que d’arriver à Cataracoui ; son projet consistait dans le rétablissement de son crédit, l’organisation d’une nouvelle expédition et la découverte du Mississipi jusqu’à la mer. Telle était son activité que ses deux amis furent rejoints par des renforts et se rendirent à Chicago avant les glaces de l’automne. La Salle[1] les trouva en ce lieu, le 4 janvier 1682[2] étant parti de Cataracoui à la fin du mois d’août[3]. Pour de semblables voyageurs un trajet de cent trente lieues (de Chicago à Crèvecœur) sur les glaces et à travers les neiges ne comptait point : dès les premiers jours de février, ils entraient à Crèvecœur. La Salle ne se reposa nulle part. Le 6 il débouchait sur le Mississipi avec Tonty, le père Membré, vingt-deux Français et dix-huit Sauvages (Abénaquis et Loups) amenant dix femmes et trois enfants. Une nouvelle découverte du grand fleuve s’annonçait : elle devait attirer l’attention beaucoup plus que celle de Jolliet et Marquette, accomplie un peu trop vite pour avoir un grand retentissement, vu la situation de la colonie canadienne à l’époque où elle avait eu lieu.

Rendu chez les Chicassas, avant que de rencontrer la rivière Arkansas, où Jolliet et Marquette s’étaient arrêtés[4], l’un des membres de l’expédition nommé Prudhomme, probablement fils de Louis Prudhomme, de Montréal, se perdit durant quelques jours dans les bois. On donna son nom à un fort, construit sur la rive gauche du Mississipi, le 24 février, et qu’on appela ensuite fort aux Écors. La Salle s’étant remis en route, arriva, le 3 mars, au village Kappa, chez les Arkansas, où il y eut de grandes démonstrations d’amitiés de la part des Français, fort bien accueillis des sauvages. Le père Zenobe Membré tâcha d’expliquer à ce peuple les mystères de la religion chrétienne. Le 20 mars, parvenue chez les Taensa, par

  1. Selon le père Le Clercq, La Salle et le père Membré seraient arrivés aux Miamis le 3 novembre 1681.
  2. Le Père Le Clercq, dit qu’il s’embarqua, le 2 décembre 1681, avec Tonty sur le lac Michigan pour aller à Chicago, où La Salle les rejoignit avec le reste de ses gens, le 4 janvier.
  3. Le 11 août 1681 il était à Montréal où il faisait son testament. Le 27 décembre il parait être parti de Cataracoui. (Voir Gabriel Gravier : Découvertes, etc., de Cavelier de la Salle, p. 180, 386).
  4. Le père Le Clercq conteste la plupart des découvertes de Jolliet et Marquette.