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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’entremise de Tonty la caravane fut reçue avec solennité et des réjouissances saluèrent son passage. À chaque affluent du fleuve, la Salle envoyait un détachement reconnaître les rivières, lorsqu’il n’y allait pas lui-même. Passé les Taensa, descendant toujours le Mississipi, on eut occasion de voir les ravages de la guerre, car ces tribus étaient en armes les unes contre les autres. Il fallait de l’habileté et du sang-froid pour ne réveiller en rien les susceptibilités de gens ombrageux qui rencontraient pour la première fois des Européens. La Salle et Tonty avaient adopté la pratique de se montrer redoutables tout en ne commettant aucun excès et en protestant de leurs intentions pacifiques, moyen qui leur réussit partout. Enfin, le 6 avril, ils reconnurent la pointe du delta, où le Mississipi se divise en branches pour entrer dans la mer. Le 7, le chenal de droite apparaissait à la Salle ; Tonty entrait dans celui du milieu ; Jean Bourdon, sieur d’Autray, enfilait celui de gauche, et au bout de deux lieues, ils goûtaient les eaux salées du golfe du Mexique. Ayant vu la fin du fleuve, ils remontèrent « et se rassemblèrent tous avec une joie extrême d’avoir heureusement achevé une si grande entreprise », selon que s’exprime Cavelier de la Salle. La Nouvelle-France venait de doubler l’étendue de ses limites. Ce fut l’une des plus grandes découvertes du siècle. Le 9, dans un endroit préparé à cet effet, on dressa une colonne et une croix portant des inscriptions appropriées, et la Salle, l’épée nue, au bruit de la fusillade, prit possession de ces vastes et riches contrées au nom du roi de France et de la religion catholique. Le père Zenobe Membré officiait à la cérémonie religieuse du jour. Le procès-verbal, dressé par Jacques La Métairie[1], notaire de Cataracoui, est signé des noms de : De La Salle, Zenobe Membré missionnaire, Henry de Tonty, François de Boisrondet[2], Jean Bourdon sieur d’Autray[3], Jacques Cauchois[4], Pierre You[5], Gilles Menneret, Jean Michel[6], chirurgien, Jean Mass, Jean de Lignon[7], Nicolas de la Salle[8]. On cite aussi Gabriel Barbier, fils de Gilbert Barbier, de Montréal.

Le retour de l’expédition ne se fit pas sans obstacles. Parti le 10 avril pour remonter le fleuve, la Salle trouva plus de quinze cents hommes en armes contre lui dans les villages qu’il avait traversés si paisiblement. Sa ferme contenance en imposa aux sauvages ; toutefois, il eut à livrer un combat sérieux dans lequel son intrépidité, la bravoure de ses gens et les fusils eurent l’avantage. Sa politique étant toujours de ne laisser derrière lui que le moins de sujets de haine possible, il traita en amis tous ceux qu’il put voir, même les guerriers qu’il avait combattus. Enfin, après des privations sans nombre, il atteignit le fort Prudhomme, vers le 20 mai, et tout à coup y tomba malade au point que l’on désespéra de sa vie. La Salle a traversé par trois ou quatre fois des crises de ce genre que plusieurs ont regardées

  1. Il était à Sillery en 1662.
  2. Il formait parti de l’expédition de la Salle en 1679.
  3. Fils de Jean Bourdon et de Jacqueline Potel.
  4. Épousa, l’année suivante, Elizabeth, fille de Louis Prudhomme, à Montréal.
  5. Dit le sieur de la Découverte. Nous en reparlerons.
  6. Il se maria à Lachine, en 1687, avec Jeanne André.
  7. Peut-être Deligneron.
  8. Neveu du découvreur. En 1698, il était écrivain au bureau de la marine à Toulon.