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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

comme des tentatives d’empoisonnement commises sur sa personne par ses adversaires dans la traite et les découvertes. Une existence aussi accidentée que la sienne peut bien donner prise à de telles légendes, alors même que les apparences ne seraient pas si fortes que ne nous les montrent ses historiens. Le 2 juin le reste de son monde le rejoignit, mais son état de santé le retint au fort Prudhomme jusqu’au premier juillet et alors tous s’embarquèrent pour le fort de Miamis où ils arrivèrent au mois de septembre. Les nouvelles du Canada étaient mauvaises : Cataracoui était menacé d’abandon. Tonty se chargea des lettres et instructions de son chef, se mit en route, au mois d’octobre, et se dirigea vers Québec. La Salle fit mettre la dernière main au fort Saint-Louis des Illinois, et dès le mois de mars (1683) plus de dix-huit mille Miamis, Chouanans et Illinois comptant près de quatre mille guerriers s’y trouvaient réunis pour résister aux Iroquois dont l’arrivée paraissait imminente. Ces sauvages établirent force cabanes dans les environs et se disposèrent à cultiver le sol sous l’égide des canons français.

M. de la Barre avait remplacé M. de Fontenac. Selon le mémoire de la Salle, le nouveau Gouverneur se ligua avec ses ennemis et se mit en devoir de le chasser du lac Ontario. Le fort Cataracoui avait déjà coûté vingt mille livres en argent à son propriétaire comme prix d’achat ; des bâtiments y avaient été érigés et des défrichements ouverts. Une bonne muraille du côté de la terre et des palissades regardant le lac le mettaient à l’abri des attaques des Iroquois. On y avait conduit des bestiaux. Les barques de ce poste sillonnaient le lac. Le sieur de la Forest y commandait. Cet état de choses durait depuis 1679. Aussitôt qu’il eut pris les rênes de l’administration M. de la Barre rappela la garnison, et personne n’y serait demeuré pour préserver ce poste d’un coup de main sans la dépense que s’imposa l’un des associés et cousin de La Salle, François Lenoir dit Rolland et dit Plet, marchand de Lachine, en envoyant des hommes et des marchandises dans ce lieu. M. de la Barre obligea Lenoir à se retirer et à livrer à ses associés à lui, Jacques Le Ber dit Larose[1] et Charles Aubert de la Chesnaye. La traite que faisait faire pour son compte ce gouverneur n’était point un mystère ; la Salle en parle avec des détails qui confirment le fait. Cataracoui était ruiné en 1683 lorsque Henry de Tonty se présenta pour obtenir justice, au nom de son chef. De plus, les créanciers de la Salle, frappés par ce désastre, réclamaient trente mille écus.

Le père Zenobe Membré, en route pour la France, était passé à Québec l’automne de 1682, et connaissant l’esprit hostile qui y régnait contre la Salle, il n’avait voulu rien raconter de son long voyage. De suite, M. de la Barre avait écrit au ministre de se défier de lui ; que les découvertes dont il allait rendre compte ne valaient pas la peine qu’on s’y arrêtât ; que la Salle avait soulevé les Iroquois contre la colonie et que la guerre paraissait inévitable.

Le roi écrivait à M. de la Barre, le 5 août 1683 : « Je suis persuadé comme vous que la découverte du sieur de la Salle est fort inutile, et il faut dans la suite empêcher de pareilles

  1. Sa mère était Collette Cavelier, paroisse de Pitre, évêché de Rouen. Vers 1675, Le Ber et Louis Jolliet avaient demandé la concession de Cataracoui. (Voir Gravier : Cavelier de La Salle, p. 60).