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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

etc., qu’il envoyait dans la Nouvelle-France. Dès que la compagnie des Indes eut cessé d’opérer, une situation nouvelle se produisit. Certains habitants entrèrent dans le commerce ; des sociétés françaises se formèrent pour le même objet. Le numéraire toujours rare à cette époque, mais surtout durant les dernières années qui précédèrent la paix de Nimègue (1679) rendait le change d’une pratique très difficile dans le Canada. Privés de fractionnaire, les habitants qui livraient leurs produits aux magasins des petites ou grandes compagnies, se voyaient obligés d’accepter de simple « bons » de la part des marchands, dont la signature prenait alors la place de la monnaie de billion. Petit à petit la circulation de ses cartes devint générale, si bien que sous M. de Meulles, les sommes échangées entre les particuliers ne se faisaient plus qu’à l’aide de ces récépissés, mais on conçoit que le moindre ébranlement dans le haut commerce amoindrissait la valeur de ces cartons acceptés uniquement de confiance. Durant tout le régime français, nous avons eu à lutter contre l’insuffisance des moyens d’échange. Le numéraire ne venait ici que par l’entremise des troupes, et chaque fois en telle abondance qu’il submergeait le marché. Les cartes tombaient alors dans un discrédit ruineux pour leurs détenteurs ; l’agiotage s’en mêlant, ceux qui possédaient cent piastres de ces valeurs se trouvaient bien heureux de les échanger à vingt-cinq ou trente par cent de perte contre de la monnaie d’argent ou d’or et quelquefois contre ce qu’on appelait les ordonnances. Tout le commerce de banque du Canada se gouvernait sur l’arrivée des navires de France qui apportaient une fois par année les marchandises de consommations régulières et le peu de valeurs monétaires qu’on ne pouvait s’empêcher de nous expédier de France. Les cartons étaient devenus d’un usage tellement général, que du temps de M. de Meulles, on entreprit de les régulariser, au lieu de lancer dans la colonie les menues monnaies dont tout le monde avait besoin. Le conseil d’état de Sa Majesté redoutait l’usage que les Canadiens eussent pu faire des monnaies de cuivre ou d’argent dans leurs rapports avec les colonies anglaises. L’idée d’une monnaie de carte officielle lui souriait donc bien davantage puisque les commerçants d’Albany ou de Boston ne pouvaient sans grand risque l’accepter de nos gens. Le premier janvier 1684, on émit à Québec des billets d’ordonnances ainsi que des cartons qui représentaient les figures des monnaies de France. Ces jetons ou contre-marques devaient circuler jusqu’à l’arrivée des navires de France, vers l’automne de chaque année. Les marchands les portaient alors à l’intendant qui signait contre leur valeur des lettres de change ou traites payables par le trésorier de la marine du royaume. Si les lettres de change étaient honorées, ce qui n’arrivait pas toujours, les marchands déposaient le montant qu’elles représentaient chez leurs fournisseurs de France. Un pareil système maintenait la circulation des cartes dans le Canada, éloignait les valeurs métalliques, ébranlait la confiance des habitants, et enrichissait les agioteurs. À plusieurs reprises, des particuliers tentèrent l’importation des pièces monnayées, mais outre que le pouvoir voyait ces opérations d’un mauvais œil, il y avait toujours le risque de la mer, par conséquent le haut prix des assurances, qui ne permettait pas à cette sorte de marchandise de se répandre dans la colonie sur un pied équitable. Les plus basses ordonnances étaient de six deniers.