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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

un convoi de cent hommes, amenés par deux capitaines ; vingt seulement étaient en état de travailler de suite ; on les distribua aux habitants, moyennant un salaire qui s’élevait de vingt à trente écus. En 1708, une ordonnance obligea à ne pas prendre d’engagé au-dessous de dix-huit ans. Vers 1720, le salaire des engagés était tombé à quarante livres par an, plus la nourriture et le vêtement. Les capitaines étaient responsables de la moralité de leurs engagés, et lorsque ceux-ci ne paraissaient point convenables, on les obligeait à les ramener en France, en remboursant au patron tous loyaux coûts et dépens. En 1706, on donna dispense d’amener des engagés, à cause de la guerre funeste où la France se trouvait compromise, mais les armateurs devaient verser à la place soixante francs à la caisse de la marine. En 1721, on renouvela cette faculté de rachat, ainsi qu’en 1744. »

Dans les dépêches des gouverneurs, intendants ou autres, les mots : « aide du roi » se présentent souvent. Quelques historiens en ont conclu à la pauvreté de la colonie et l’un d’eux va jusqu’à dire « dans toutes les branches d’industrie les demandes d’aide sont sans fin. Gouverneurs et intendants sont autant de mendiants opiniâtres en faveur de la colonie languissante. » Outre les pièces que nous avons données à profusion dans ce travail, il faut observer que le régime même sous lequel était placé le Canada nécessitait l’appel au roi. Toute l’administration était entre les mains du monarque. À lui donc devaient s’adresser les rapports sur toutes choses y compris ce qui concernait les dépenses. Il n’en est pas ainsi de nos jours : le gouvernement canadien ayant le budget en sa possession, c’est lui qui distribue les argents — mais encore faut-il les lui demander. Lorsque les intendants sollicitaient l’envoi de couvreurs, de verriers, de briquetiers, d’artisans de divers états, il n’y avait rien que de très naturel et de très juste. Le roi devait doter sa colonie des ouvriers qui lui manquaient, et cela aux frais du trésor dont il avait la seule manipulation. Les choses ne se font pas autrement aujourd’hui ; nous entretenons en Europe des agents qui recrutent à tout prix des gens de métiers et personne ne songe à dire que c’est mal. Les secours du roi, en argent ou en nature, pour les hôpitaux, etc., relevaient de ce principe ; les revenus du pays allaient à la caisse royale, laquelle en repassait une portion au Canada selon le besoin. Le défaut de ce système consistait dans la lenteur des opérations et le trop de concentration du pouvoir administratif. En 1686 il fut exporté dix-huit mille minots de grain aux Antilles ; depuis vingt ans, nous avions sans cesse des surplus en ce genre de produits. Ce n’est point là un pays pauvre[1].

Au moment où la compagnie des Indes (1675) se retirait, la dette du Canada était réduite à une très légère somme. Sous le régime des gouvernements propriétaires, la colonie proprement dite, était nécessairement exempte de dette puisque les frais d’entretien incombaient à ceux qui retiraient du commerce de cette contrée des revenus directs ou indirects. Ce que l’habitant payait pour l’achat des marchandises d’Europe allait au trésor des compagnies, lesquelles à leur tour, satisfaisaient aux exigences du roi pour l’entretien des fonctionnaires,

  1. Voir Revue de Montréal, 1879, un article de M. J. C. Langelier.