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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

fut la population née sur le sol. La colonisation avait pris une assiette solide et si peu étendue qu’elle paraisse, son rôle primait tous les autres ; elle résista à l’entraînement fatal du commerce des pelleteries, mais non sans éprouver sur ce point des pertes en hommes qui ne pouvaient se compenser. Les fonctionnaires, étrangers aux intérêts canadiens proprement dits, ne se faisaient pas faute d’affaiblir le noyau de cultivateurs en attirant dans les bois les fils des premiers habitants. Le roi se réveillait de temps à autre et menaçait de peines sévères ceux qui oubliaient ainsi leur devoir ; il voulait la concentration des groupes agricoles. « Pénétrez-vous de cette maxime, écrivait-il à l’intendant Duchesneau, qu’il vaut mieux occuper moins de territoire et le peupler entièrement que de s’étendre sans mesure et avoir des colonies faibles, à la merci du moindre accident. » Sa pensée était de faire établir les terres les plus voisines du fleuve, la seule voie de communication avec l’océan et la France — mais pourquoi ne nous envoyait-il pas des colons ?

D’après ce que rapportent MM. Rameau et Margry, les Cent-Associés auraient présenté au roi, en 1663, un état très exagéré de la population de la Nouvelle-France, afin de donner à croire qu’ils avaient moins négligé qu’on ne le disait l’obligation de peupler le pays. Quant au nombre des fiefs concédés par eux, il était considérable, mais la majeure partie de ces terres étaient sans habitants. La famille Lauson et les jésuites avaient su se tailler d’immenses domaines, qui restaient inoccupés. Lorsque survint le changement de régime (1665) et que les influences fâcheuses qui avaient jusqu’alors gouverné la colonie eurent été écartées, on s’attendait à voir les jésuites se retirer sur leurs terres, devenir curés, seigneurs actifs, enfin, fondateurs de paroisses. Il n’en fut rien. Se sentant repoussés de Montréal et des Trois-Rivières, ils s’en tinrent à leur résidence de Québec et tournèrent tous leurs efforts du côté du haut Canada. Les missions lointaines devinrent le champ des travaux de ces missionnaires. Ils brillèrent aussi dans les découvertes. À la faveur de cette nouvelle situation, le goût du commerce se développa chez eux. On les vit en but à des attaques de la part des traiteurs français de ces régions que gênait leur trafic, comme ils embarrassaient l’administration du pays, à Québec, au moyen de leur disciple Mgr de Laval. L’intendant Bouteroue, arrivé en 1668, s’était plaint de ces menées ; Colbert répondit, le 13 mai 1669, à M. de Courcelles que les choses s’arrangeraient d’elles-mêmes, car, dit-il, « la trop grande autorité que l’évêque de Pétrée et les jésuites, ou pour mieux dire ces derniers sous le nom du premier, se donnent, est de telle nature que lorsque le pays augmentera en habitants, l’autorité royale surmontera l’ecclésiastique et reprendra la véritable étendue qu’elle doit avoir. En attendant, vous pouvez toujours empêcher adroitement, sans qu’il paraisse ni rupture entre vous, ni partialité de votre part, les grandes entreprises qu’ils pourraient faire. » Les mêmes recommandations furent adressées à Frontenac partant pour le Canada (1672). « Il sera nécessaire que le sieur de Frontenac donne aux ecclésiastiques du séminaire de Saint-Sulpice toute la protection qui dépendra de lui, comme aussi aux PP. récollets qui se sont établis dans la ville de Québec — ces deux corps devant être appuyés pour balancer l’autorité que les PP. jésuites se pourraient donner au préjudice de celle de Sa Majesté. » Le rapport de Frontenac