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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

protection à plusieurs coureurs de bois, vous ne me blâmerez pas d’avoir sur cela de fortes impressions et quoique la parole formelle qu’il m’a donnée de les poursuivre me persuade qu’il n’est plus dans ce sentiment, cependant je crois que ma fidélité pour vous exige de moi que je vous avertisse que tout le monde dit qu’il entretient un commerce de lettres avec Dulut et qu’il est vrai qu’il en reçoit des présents et qu’il n’a pas voulu que je fisse emprisonner le nommé Patron, oncle du dit Dulut, qui reçoit ses pelleteries et qui sait la fin de son entreprise, qui n’est pas ignorée, à ce qu’on assure, du supérieur du séminaire de Montréal, nommé monsieur Dollier, qui est un très honnête homme, qui ne manquera pas peut-être d’en instruire monsieur Tronson. Je vous dirai de plus, monseigneur, que monsieur le gouverneur a défendu aux interprètes de me faire entendre ce que voudraient dire les sauvages des nations éloignées ; qu’il a commandé au prévost, qui est un fort honnête homme, et qui a beaucoup envie de s’acquitter de sa charge, d’en arrêter aucun coureur de bois en conséquence de mes ordonnances, sans lui en donner avis, et qu’il a envoyé derechef Lataupine, ce fameux coureur de bois que je fis arrêter l’année dernière et duquel je vous envoyai l’interrogatoire. C’est celui dont il se sert pour porter ses ordres et pour traiter dans les nations outawases et aussi pour en rapporter les pelleteries qui y ont été laissées par le nommé Randin qui était ce prétendu ambassadeur avec lequel et ses autres associés M. le gouverneur avait fait une convention pour la traite dont je vous envoie une copie collationnée sur l’original. » L’année suivante, il expose qu’il y a deux classes de coureurs de bois : les uns qui vont aux Assiniboines, aux Sioux, aux Illinois, aux Miamis ; les autres qui ne se rendent qu’au « Long-Sault, à la Petite-Nation et quelques fois jusqu’à Michillimakinac » pour y rencontrer soit des Français soit des sauvages avec lesquels ils traitent. Du Luth appartenait à la première catégorie.

Et au milieu de ces tiraillements des hauts fonctionnaires, le commerce prospérait entre les mains des Français qui avaient l’adresse d’entraîner à leur service les Canadiens déjà épris de la passion des voyages et du goût du déplacement qui les a fait remarquer par tous les historiens. C’était la vigueur, la sève de la colonie qui s’en allait. Huit cents hommes dans les bois : huit cents terres restées en friches. N’allons point croire que la misère chassait ainsi les habitants de chez eux, car la situation du pays était très belle. Un coup d’œil sur le recensement de 1681 que nous donnons au chapitre suivant le démontre en toutes lettres. De plus, la dette publique se trouvait réduite à une bagatelle, mais l’irréflexion d’une part et l’appât d’un gain subit de l’autre, faisaient que nos gens prêtaient l’oreille aux promesses de ceux qui étaient venus de France pour tirer du castor. Dans ces jours de paix, où l’on ne comprenait pas le danger qu’il y avait de trop nous étendre et d’éparpiller nos forces, chacun songeait à l’ouest, à l’inconnu, à la fortune acquise en deux ou trois campagnes. Toutes les pensées se portaient vers la traite. Si l’on continue de gêner les coureurs de bois, disait La Hontan, c’en est fait de la colonie car nos marchands vont manquer de bras pour leur trafic. Hélas ! ces faiseurs d’argent trouvaient commode de dépeupler nos jeunes paroisses et d’arrêter l’élan de la colonisation.