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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

deux lieues et demie de Louisbourg[1] ; comme son chargement était considérable, il résulta de cette perte une grande détresse et la ruine de plusieurs familles. L’Éléphant, autre navire du roi, parti de la Rochelle le 4 mai 1729, toucha, le 16 juin, sur un rocher, à douze lieues de Québec et la riche cargaison qu’il portait fut entièrement perdue. Les passagers arrivèrent à Québec le 18. Parmi eux étaient : Mgr  Dosquet et son secrétaire M. Claude de la Vernède Saint-Poney, diacre ; l’abbé Louis-Bertrand de La Tour, le père Luc (Luc Flamandon, Luc Hendrix ?) récollet ; plusieurs prêtres ; des sulpiciens, récollets et jésuites. Il y avait à bord trois fils du défunt gouverneur M. de Vaudreuil : le comte Louis-Philippe de Vaudreuil, lieutenant du roi, commandant ce vaisseau ; Pierre-François de Vaudreuil Cavagnal, plus tard gouverneur du Canada, et Pierre de Rigaud de Vaudreuil qui devint gouverneur de Montréal, et puis le sieur C. LeBeau et ses dix-sept compagnons d’aventure. Ce malheur s’ajoutait à la disette qui régnait déjà depuis quelques années. « L’hiver de 1729, dit Garneau, fut pour le Canada ce que celui de 1709 avait été pour la France. Les habitants furent obligés de vivre de bourgeons, et de ce qu’on regardait alors comme n’étant guère plus nourrissant, de pommes de terres.[2] Plusieurs personnes moururent de faim. » Ces années de crise venaient en travers du développement de la partie agricole du pays, car il ne faut pas oublier la marche ascendante de la production du sol, malgré les guerres et l’éloignement des coureurs de bois pour le travail des champs. M. J. C. Langelier[3] l’expose fort bien. « La meilleure preuve du progrès et de l’activité de l’agriculture, dit-il, se trouvent dans les recensements. Si nous comparons le cens de 1692 avec celui de 1734, nous trouvons que, durant cette période de quarante-deux années, la moyenne de l’augmentation a été de 16.370 par cent pour la production des céréales, 14 par cent pour le bétail, 12.230 pour la superficie ensemencée, et 4.830 pour la population, ainsi que le montre le tableau suivant :


1692 1734 Augmentation
Annuelle
Augmentation
totale
Minots de grains 120,418 974,114 16.37 p. c. 709 p. c.
Têtes de bétail 11,804 81,696 14 p. c. 592 p. c.
Arpents en culture 26,669 163,611 12.23 p. c. 514 p. c.
Population 12, 431 37,716 4.83 p. c. 203 p. c.


M. l’abbé Joseph Navières écrivait en 1734 : « L’argent de ce pays est différent de celui de France et craint extrêmement l’eau et le feu : ce sont des cartes de différentes grandeurs sur lesquelles sont les armoiries de France, le nom du gouverneur, de l’intendant et du contrôleur[4] La monnaie de France y a cependant cours, mais elle est rare, et ceux qui en ont la conservent précieusement. Toutes les affaires se font avec cet argent de papier,

  1. Personne n’échappa au désastre, Ainsi périrent M. de Chazel, qui venait remplacer l’intendant Bégon, M. de Louvigny, nommé gouverneur des Trois-Rivières, le capitaine Ramesay, fils du gouverneur de Montréal, décédé l’année précédente ; d’autres officiers, des ecclésiastiques, etc.
  2. Kalm écrivait de Québec, en 1749 : « Les Français d’ici, lorsqu’on leur demande pourquoi ils ne plantent pas de patates, répondent qu’ils ne lui trouvent aucune saveur, et ils se moquent des Anglais qui en sont si friands. »
  3. Revue de Montréal, 1879, page 602.
  4. Dans l’origine, l’intendant avait la police, la justice et les finances. Plus tard, le ministère de la marine, qui était chargé spécialement de la colonie, nomma un contrôleur.