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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Nouveau-Brunswick, à l’est du fleuve Saint-Jean. Jemsek reçut aussi vers ce temps un ou deux colons. Villebon avait avec lui une soixantaine de soldats ; il rétablit le fort Nashouack, à l’embouchure du fleuve Saint-Jean. Villebon demeurait alors à Pentagoët.

Les Sauvages de l’Acadie, pas plus que les Iroquois en Canada, ne reconnaissaient le traité de Ryswick ; ils menaient la guerre aux Anglais, mais privés de l’assistance des Français, leurs armes n’étaient pas toujours victorieuses. En 1699, dix compagnies de troupes régulières, sous les ordres de Wallis et Bradford, tuèrent dans un combat sept cents Abénaquis. Ce désastre détermina plusieurs groupes de familles à se réfugier sur les bords du Saint-Laurent, où, depuis une vingtaine d’années leurs parents avaient formé des bourgades, à Bécancour et à Saint-François du Lac.

La situation de l’Acadie était alors celle d’une province assez mal gouvernée mais qui pouvait compter sur la valeur morale et l’esprit patriotique de son peuple. Des réformes étaient nécessaires dans la région purement administrative. Il y avait lieu d’espérer qu’elles se produiraient un jour ou l’autre. Le fond, l’habitant, l’Acadien, était admirable. L’instinct de cette nouvelle race éclose au soleil de l’Amérique se portait vers la culture des champs. Ses mœurs honnêtes et paisibles, malgré les cris d’alarmes qui la surprenaient si souvent, lui garantissaient un avenir prospère. Son tempérament avait subi l’influence de ce milieu étranger : il cessait d’être européen et se transformait comme celui de ses frères du Canada. L’habillement, le logis, la nourriture, appropriés à des besoins qui n’étaient plus ceux de la France, lui donnaient un caractère à part. Un nouveau type se formait dans la grande famille humaine. L’art du cultivateur même se modifiait dans ces lieux dont la forme physique s’écarte notablement des proportions et de l’état de ceux de la mère-patrie. Comme sur les bords du Saint-Laurent, le colon avait échelonné ses terres en suivant la ligne d’eau, mais en Acadie, les rivages sont plats dans les endroits les plus riches, et tout un genre d’agriculture naquit de cette condition imposée par la nature. Le bassin des Mines, Chipody, Petitcoudiac sont des exemples de l’industrie savante et tenace des Acadiens. Leurs barrages contenaient les flots de la mer. Ce qu’il fallait de travail et de calcul pour les rendre efficaces est un problème qui intrigue les hommes d’aujourd’hui. Quelles récoltes surabondantes donnaient ces terrains, engraissés depuis des siècles par les dépôts de l’océan ! Aussi voit-on que les ravages d’ennemis nombreux et impitoyables ne retardaient guère le développement de ces jeunes paroisses. L’année qui suivait une razzia amenait l’abondance, et comme les courages ne faiblissaient jamais, tout reprenait vigueur en attendant des jours ou plus sereins ou plus mauvais. Les jours mauvais sont nombreux dans l’histoire de l’Acadie.

Le Borgne de Belle-Isle, représentait à Port-Royal[1] M. de Villebon ; c’est lui qui reçut le commissaire de marine, M. de Fontenu, envoyé pour dresser un rapport sur l’Acadie. Il fut décidé de réparer les fortifications de Port-Royal et d’y rétablir le siège du gouverne-

  1. En 1692, Port-Royal comptait quatre-vingt dix-huit ménages ; en 1701 soixante et six.