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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’année 1685. Aux yeux de M. de Meulles, il n’y avait ici que des manants et des gueux. Le noblesse pauvre n’est pas prise par lui en pitié, mais méprisée ; le peuple est un vil bétail — il n’y a qu’à lire les dépêches de cet officier pour connaître son caractère. Nous en sommes encore, après deux siècles, à découvrir comment a vécu ici l’étrange population qu’il signale et où elle a passé, car elle était évidemment différente de celle que les documents les plus dignes de croyance nous font connaître. Lorsque le baron de La Hontan parle des filles de mauvaise vie arrivées en Canada de 1665 à 1672, et que M. de Meulles s’attaque aux criminels réfugiés dans la colonie, tous deux se mettent en contradiction avec les nombreuses sources de renseignements que nous possédons sur le sujet — nos lecteurs ont pu en juger. En 1682, la France cessait de nous envoyer des colons ou plutôt elle avait cessé depuis cinq ou six ans. L’accord entre les chiffres des recensements, à toutes les époques antérieures à 1682, et les pièces officielles et autres qui touchent aux origines de la population canadienne est tellement parfait que la place manque pour en loger davantage dans ces calculs.

Le chevalier de Beauchesne qui dit avoir été élevé partie dans une paroisse du gouvernement de Montréal et partie chez les Iroquois, a livré à Le Sage des notes dont ce romancier a composé un livre curieux. Beauchesne affirme que l’on expédiait en bloc au Canada, de 1690 à 1700, des fils de famille trop prodigues et des femmes légères ou compromises et qu’on les mariait à l’aveuglette en mettant le pied à Québec. L’invraisemblance de ces récits, de telles situations, les circonstances relatées et un mode de peuplement aussi peu conforme aux choses du pays, ne soutiennent pas un instant la critique. C’est du Le Sage, agréable si l’on veut, mais en dehors de toute vérité possible.

À l’égard des envois de filles aux îles françaises de l’Amérique, nous devons remarquer que s’il y a eu des erreurs de commises, ce n’était point le résultat d’un plan de bannissement des mauvais sujets des grandes villes du royaume, quoiqu’il y ait à mentionner des cas de cette nature, que l’on peut considérer comme des exceptions à la règle. De 1682 à 1685, sur la demande des planteurs des îles, on avait embarqué des troupes de cinquante, cent et cent cinquante filles, presque toutes tirées de l’hôpital général de Paris, et un petit nombre de mauvaise vie, ce dont on s’aperçut bien vite ; des plaintes très vives furent adressées au ministre (Seignelay) qui enjoignit de ne plus admettre sur les bâtiments en partance « celles qui sont enfermées pour leurs débauches. »

Le 7 février 1686, Seignelay écrivait à l’intendant du Canada, lui proposant de prendre les forçats et faux-saulniers invalides et ceux qui étaient condamnés à vie, afin de les engager chez les habitants. Il ne paraît pas que le projet fut accepté.[1]

Plus tard (1698) Frontenac et Champigny s’adressant au ministre et lui dépeignant la situation des Canadiens, disaient : « La plupart des Français qui se fixaient en Canada étaient des soldats, auxquels on donnait congé à condition qu’ils se marieraient et resteraient dans la colonie. » Ceci est tout à fait conforme à la vérité. En 1704, l’évêque de Poitiers sollicita la permission d’exiler aux colonies deux gentilshommes qui occasionnaient des scandales dans son diocèse. M. de Pontchartrain lui répondit : « L’on m’envoye personne de force en Amérique. »

  1. G. B. Déping  : Correspondance administrative du règne de Louis XIV, Paris 1850.