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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Avant 1754, il y avait pour un million de francs de monnaie de carte, à part les billets, d’ordonnances.

Le baron Dieskau arriva au commencement de l’été de 1755, avec deux mille hommes de troupes, après en avoir laissé mille à Louisbourg. Le marquis de Vaudreuil, ancien gouverneur de la Louisiane, venait en même temps remplacer le marquis Duquesne à la tête des affaires du Canada. La milice était prête, placée sur la frontière et dans les garnisons, au nombre de cinq mille hommes. (La population était de cinquante-cinq mille âmes). Elle remporta, au mois de juillet, la victoire de la Monongahela. Quelques semaines plus tard, le baron Dieskau, repoussé, blessé et fait prisonnier, au lac Saint-Sacrement, apprenait, comme le malheureux Braddock, que la guerre d’Amérique ne se conduit point à la façon de l’Europe, et que nos miliciens en savaient plus long que lui sur toutes ces choses. Déjà, on voyait naître entre les troupes du pays et celles de France une jalousie trop encouragée par les officiers. L’intendant écrivait, l’automne de cette année, pour demander des secours en hommes et en argent. Ce sont, disait-il, « les Canadiens qui font la plus grande partie de l’armée, sans compter mille à douze cents occupés aux transports. Les Canadiens ainsi employés à l’armée ne travaillent point à la culture des champs et ils sont loin de défricher de nouvelles terres. Tout manque, principalement le blé. Il est mort un grand nombre de Canadiens par suite de la fatigue et des maladies. »

« Le lard salé, dit un mémoire du temps, qui valait originairement, c’est-à-dire avant 1755, quinze sous la livre, a valu dans la suite jusqu’à six francs. Un chapeau de laine, des plus communs, qui vaut quarante sous en France, s’est vendu quarante et cinquante francs, et les autres marchandises en proportion. »

L’été de 1755, trois vaisseaux français, le Lys, l’Alcide et l’Espérance, surpris par les Anglais tombèrent au pouvoir de ceux-ci. De fortes sommes d’argent destinées au Canada furent enlevées avec ces navires. Avant l’arrivée des troupes, il y avait très peu d’espèces dans la colonie ; ce qui en paraissait était répandu par les officiers des vaisseaux du roi et les navires marchands, mais les particuliers l’enlevaient aussitôt au commerce pour en faire de la vaisselle ou le renfermaient pour ne plus le montrer. La monnaie de carte se trouva dépréciée. On donnait sept francs de papier pour six francs de numéraire.

La guerre n’était pas encore déclarée officiellement. Elle soulevait en Angleterre beaucoup d’enthousiasme. La chambre des communes vota un million sterling et Pitt traita avec certains princes allemands pour obtenir des troupes. La population des colonies anglaises, qui s’élevait à douze cent mille âmes, partageait cette ardeur. En bref, la situation était celle-ci : le nombre de bras, les ressources de tous genres étaient du côté des Anglais. Notre mère-patrie se refroidissait au sujet du Canada ; l’Angleterre adoptait décidément l’idée de conquérir l’Amérique.

Des bâtiments envoyés au secours des Acadiens amenèrent un grand nombre de ces infortunés. Leur présence empira la situation. On les nourrit du peu que l’on possédait : quelques onces de pain et de la viande de cheval. Ils se dispersèrent dans les trois gouver-