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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

que des nouvelles… qu’elle empruntait aux papiers de Philadelphie et d’Angleterre. Pas un fait-divers canadien, pas non plus d’article traité au point de vue canadien. Il s’y rencontrait des annonces, par exemple. À tout prendre, la création de Brown et Gilmore était ce que nous nommons la Gazette Officielle, agrémentée de quelques annonces de commerce et de nouvelles étrangères. Il faut feuilleter plusieurs volumes de cette publication pour rencontrer une demi douzaine de petites notes d’actualité. Dans son premier numéro, l’éditeur avertit ses abonnés que, vu la rigueur de nos hivers, il sera parfois privé temporairement de ses échanges avec les autres pays, ce qui le mettra dans un embarras assez grave ; mais il se hâte d’ajouter qu’il espère bien suppléer alors à l’insuffisance des nouvelles étrangères par « des pièces originales, en vers et en prose, qui plairont à l’imagination, au même temps qu’elles instruiront le jugement. » En d’autres termes, cette brave Gazette ne se proposait d’employer un rédacteur que comme pis aller quand les autres sources feraient absolument, défaut !

Dans les seize premiers mois, écrit encore M. Gérin, la Gazette ne contient « pas l’ombre d’une appréciation politique, et bien heureux sommes-nous quand nous y trouvons un ou deux faits-divers. Les lecteurs étaient régulièrement mis au courant des faits et gestes des peuplades sauvages du Rhode Island et du Delaware qui repoussait le joug britannique, mais on leur laissait ignorer les événements qui s’accomplissaient dans la capitale du Canada. »

L’heure de la politique imprimée n’était pas encore venue. De part et d’autre on s’observait, indécis pour formuler des demandes ou des vœux, et manquant de l’habitude et de l’exercice de la presse, car les Anglais du Canada, pas plus que les Canadiens eux-mêmes ne comptaient alors dans leurs rangs un journaliste digne de ce nom — si toutefois il en existait un, rien ne nous témoigne de sa présence. Les chambres de Londres nommaient des comités qui étudiaient les affaires du Canada ; les yeux étaient tournés vers ces bureaux d’où pouvaient sortir des décisions bien graves pour la colonie.

Après Murray, qui nous défendit avec courage devant les communes (1766), Carleton alla en Angleterre (1770) et se fit accompagner de M. de Lotbinière, bon patriote, homme d’assez de fortune et instruit des besoins de notre situation, le même qui, plus tard (1774), se rendit de nouveau déposer aux pieds du trône les plaintes et les désirs des Canadiens. C’était à Londres, en somme, qu’agissaient nos représentants et il était sage d’attendre le résultat de leurs démarches avant que de risquer de parler haut, encore moins de recourir à la presse, à la dispute, à l’agitation.

Au nombre des Canadiens marquants mis par ces circonstances en contact avec les autorités impériales, il faut citer M. de Léry, lequel fut présenté à la cour avec sa femme, la belle Marie Louise-Madeleine Martel de Brouage, d’ancienne famille canadienne, qui reçut du roi ce compliment : « si les dames de votre pays vous ressemblent, en vérité j’ai fait une belle conquête. »