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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ou amis, preuve que l’instruction était plus répandue parmi les colons qui venaient d’outremer qu’on ne le pense généralement. » Ceci s’applique surtout à Québec. M. l’abbé Verreau a fait la même observation en compulsant les greffes de Montréal, et nous-même nous avons pu nous convaincre d’un état de choses identique en relevant les actes conservés aux Trois-Rivières. M. Chauveau a donc raison de dire que « malgré la rareté des écoles primaires, surtout des écoles primaires de garçons, on aurait tort de croire que la population des campagnes a été, à n’importe quelle époque, dans cette ignorance absolue et abrutissante dont on est encore frappé chez les basses classes de quelques pays européens. L’éducation domestique des colons était, en général, excellente, et les traditions de la famille canadienne, entretenues et ravivées par l’enseignement religieux, suppléèrent assez longtemps au manque d’écoles. Bien des mères de famille, instruites par les sœurs de la Congrégation, se firent les institutrices de leurs propres enfants, garçons aussi bien que filles. » C’est ici le lieu de répondre à une remarque concernant les nombreuses fautes d’orthographe qui se rencontrent dans les écritures des anciens Canadiens. Pour être juste, il faudrait ajouter que les officiers et les hauts fonctionnaires français n’écrivaient pas mieux. C’était dans la façon d’agir de l’époque. En Europe ou en Canada, les auteurs et les maîtres d’école étaient seuls regardés comme devant « mettre l’orthographe » dans leurs lettres. On ne se piquait pas de capacité à cet égard. Molière, Racine, Boileau, Voltaire ont eu pour contemporains des hommes de grand mérite qui maltraitaient affreusement la grammaire, épelaient à leur fantaisie et signaient leur nom tantôt d’une façon tantôt d’une autre. Il suffit, pour s’édifier sur ce point, de parcourir les quarante ou cinquante mille pages (encore manuscrites, hélas !) qui nous restent de la correspondance de nos gouverneurs, intendants, etc. L’orthographe à la disposition de tout le monde est un luxe de notre siècle.

« Nous avons sept religieuses de chœur employées tous les jours à l’instruction des filles françaises, sans y comprendre deux converses qui sont pour l’extérieur, écrivait la mère de l’Incarnation en 1668. L’on est fort soigneux, en ce pays, de faire instruire les filles françaises. » Le pensionnat des ursulines renfermait, cette année, seize élèves. Une autre lettre de la même main que nous avons publiée à la page 67 de notre tome III, fournit des détails intéressants sur ce sujet.

L’éducation des filles, à Montréal, ne coûtait rien aux particuliers. La sœur Bourgeois voyait chaque jour augmenter le nombre de ses élèves. Il lui en venait même de la campagne. On leur enseignait la lecture, l’écriture, les principes du calcul et l’art de tenir un ménage. Bientôt, il fallut renoncer à accepter dans ces classes les petits garçons, et les prêtres de Saint-Sulpice s’en chargèrent gratuitement, sauf à faire de temps à autre une collecte pour défrayer certaines dépenses. Vers 1670, ces écoles étaient florissantes et bien fréquentées.

C’était déjà beaucoup que d’avoir concédé aux jésuites une vingtaine de seigneuries pour l’instruction des Français et des sauvages. En 1674, la compagnie des Indes leur accorda, dans le même but, une exemption de droits sur leurs marchandises et la permission de construire des moulins, etc. Après tous ces privilèges et ces avantages, nous ne décou-