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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

hivers il y en a jusqu’à neuf pieds, dans un hiver ordinaire six ; le froid monte jusqu’à trente degrés, année commune vingt-quatre et vingt-six. L’hiver dure ordinairement six mois ; la neige commence à rester sur la terre depuis la mi-novembre jusques aux premiers jours de mai. Cette longueur de mauvais temps fait que les habitants ne peuvent élever d’animaux qu’autant qu’ils auront du fourrage pour les nourrir pendant tout ce temps qu’ils sont obligés de les tenir dans les étables, De là vient que ce pays ne saurait jamais être abondant en viande de boucherie,[1] surtout quand il y a consommation extraordinaire. Cependant, si le roi voulait, il y aurait un remède à cet inconvénient, et le peuple serait plus heureux. Il faut remarquer qu’il n’y a point d’habitants qui n’aient plusieurs chevaux ; chaque garçon qui a la force de manier un fouet a le sien, c’est ce qui empêche l’habitant d’élever autant de bœufs qu’il le ferait. Au lieu de trois ou quatre chevaux, il aurait dix à douze bêtes à cornes, et outre cela il pourrait élever plus de cochons parcequ’il n’est point de garçon d’habitants qui ne vole son père pour donner de l’avoine ou d’autres grains à son cheval afin qu’il soit gras et vif. Outre cela, les habitants ne labourent presque plus qu’avec des chevaux, préférant le fouet à l’aiguillon, ce qui est un malheur pour cette colonie, auquel il n’y a point de remède, à moins que le roi ne rende une ordonnance qui défende à chaque habitant d’avoir plus d’un cheval, à moins que ce ne soit un habitant riche et qui ait beaucoup de terre ; lorsque les chevaux auront dix ans, ils pourront avoir un poulain pour renouveler leurs chevaux ; les habitants qui auront des juments pourront avoir leur poulain, et à même qu’ils trouveront à le vendre ils le feront, afin d’en élever un autre pour fournir aux besoins des villes et des campagnes. Les seigneurs pourront avoir des juments pour faire des petits haras, afin d’avoir des beaux poulains au moyen d’étalons choisis. Il ne faudrait cependant pas dès à présent faire tuer les chevaux[2] pour en venir au point dont j’ai parlé, car la colonie est diminuée de bœufs, et les habitants, s’ils manquaient de chevaux, ne pourraient plus labourer leurs terres, mais dans quatre ou six années on pourrait les amener au point dont il s’agit, en chargeant des hommes sages et sans partialité de tenir la main à l’exécution d’un arrangement qui serait le bien de cette colonie, contre lequel on pourrait d’abord crier, mais dont on remercierait dans la suite.

Il paraît combien le roi a cette colonie à cœur par les grandes dépenses qu’il fait pour sa défense. Il est donc question de trouver le moyen propre pour que le Canada se soutienne de lui-même. Le véritable est de permettre à tous les soldats de se marier, et de donner à chacun une terre sur laquelle il y aurait quatre arpents de désert faits aux dépens du roi, et une petite maison de quinze pieds en carré ; le prix de ces travaux serait estimé par les seigneurs et capitaines des côtes, et payé par Sa Majesté aux habitants qui les auraient faits. Cette dépense pourrait être pour chaque terre d’environ quatre cents francs. Si le roi ne veut pas donner cette somme, la terre sera l’hypothèquée de l’argent avancé, et l’habitant le remboursera aussitôt qu’il sera en état. Il faut aussi donner aux nouveaux mariés une

  1. Aujourd’hui, nous exportons en Europe des quantités énormes de viande.
  2. Les cultivateurs canadiens ont continué à élever de nombreux chevaux ; ils en font un commerce considérable avec l’étranger.