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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Au commencement de 1748 les Chactas se divisèrent en deux camps : l’un pour les Anglais, l’autre pour les Français ; ce dernier eut le dessus, après des combats sanglants mais sans pouvoir empêcher les Anglais de traiter avec les tribus des affluents du Mississipi. L’Angleterre se disait justifiable d’étendre les opérations de ses traiteurs jusqu’à la rive gauche du fleuve — laissant à la France le côté ouest, avec les terres situées au-delà. En ce moment, la grande guerre du Canada était commencée et ne devait finir qu’à la capitulation de Montréal. Le marquis de Vaudreuil rendant compte de ce qui se passait à la Louisiane, disait au ministre que les nations sauvages avaient conçu du mépris pour les Français en voyant le peu de forces que ceux-ci entretenaient dans les postes éloignés de la Nouvelle-Orléans. Comme pour justifier cette impression, les troupes françaises ne se montraient ni habiles ni braves dans les rencontres qu’elles avaient à cette époque avec les bandes révoltées, soient Chactas, soient Natchez. Jamais, du reste, les établissements français n’avaient été plus en danger de périr sous les coups des maraudeurs de la forêt. La situation ressemblait à celle du bas Canada un siècle auparavant. Plusieurs Canadiens figurent dans les événements de ce temps agités et nous devons dire à leur honneur qu’ils étaient les plus courageux et les plus adroits de tous les Français. Au milieu de ces troubles, les commerçants anglais faisaient leur chemin, en descendant les rivières qui débouchent au Mississipi. Les ministres de Louis XV enjoignaient aux autorités de la colonie de s’opposer aux empiétements des étrangers, mais ils se gardaient bien d’envoyer des marchandises pour la traite ou des présents aux sauvages. Les dépêches des gouverneurs sont remplies de demandes relatives aux approvisionnements. La cour répondait par des ordres impérieux de ne pas céder le terrain ni aux sauvages ni aux Anglais — mais de secours, point ! Néanmoins, les Natchez étaient à peu près anéantis en 1750 ; les Chikassas, très faibles, se tenaient tranquilles ; les Chactas imploraient la paix. Cette situation qui eût pu amener un peu de bien-être dans la colonie, fut gâtée par le papier-monnaie que le nouveau commissaire, M. Michel de la Rouvillière rétablit de son propre mouvement. Le roi ne voulut pas consentir à ce retour aux pratiques désastreuses du passé ; il porta, quoique tard, son attention du côté de la défense du pays ; trente-sept compagnies de troupes de cinquante hommes chacune y furent mises au complet. La paix régnait en Europe par suite du traité d’Aix-la-Chapelle (1748). En Canada et à la Louisiane, il y eut un court temps d’arrêt dans les inquiétudes et les misères des deux colonies.

Depuis sa fondation, la Louisiane n’avait jamais possédé tant de soldats. « Cela prouve le crédit du marquis de Vaudreuil à la cour, » remarque M. Gayarré. Il est évident que l’on fit plus pour lui qu’on n’avait jamais fait jusque là pour aucun de ses prédécesseurs.

M. Michel et le marquis de Vaudreuil ne tardèrent pas à se desservir l’un l’autre auprès du ministre. Pour contenir les Chactas et écarter les Chickassas, le gouverneur voulait se servir de la ressource préférée des présents. Le commissaire ne livrait à cette fin que des articles dépréciés et en petit nombre, et parfois n’en donnait pas du tout. C’était à qui des deux hauts fonctionnaires dirait le plus de mal de son collègue. Les partis se combattaient