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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

mes et que la milice, en la levant jusqu’au dernier individu, ne pouvait donner que de soixante et quinze à quatre-vingts mille hommes, sans expérience militaire et la plupart sans armes.

Le 21 octobre, Hampton retraversa la frontière du Bas-Canada et dès le lendemain il délogeait un poste de miliciens à la jonction des rivières Outarde et Châteauguay. Les Voltigeurs et les Voyageurs, reculant devant lui, embarrassaient la route de branches d’arbres sur un parcours de huit lieues, qu’il mit deux jours à franchir. Le major de Salaberry, posté entre la rivière Châteauguay et un terrain marécageux, plaça un abatti sur son front et éparpilla les tirailleurs sur ses flancs, en petit nombre, bons tireurs et tous munis de trompettes pour faire croire à l’ennemi que des corps de troupes étaient au guet dans différentes positions. La ruse et l’adresse allaient se mesurer contre la force. Salaberry avait trois compagnies de Voltigeurs, une de milice, la compagnie légère des Fencibles et quelques Sauvages ; en tout trois cents hommes. Son adversaire avait près de sept mille hommes et dix pièces de canon. Durant la nuit du 25 au 26, un détachement sous les ordres du colonel Purdy essaya de tourner le flanc gauche des Canadiens afin de les prendre par derrière, mais s’étant perdu dans les bois, il arriva trop tard pour créer une diversion. À dix heures du matin, le 26, Hampton attaqua l’abatti avec trois mille cinq cents hommes. Salaberry, debout sur une souche, dirigea ses miliciens de la voix et du geste pendant plus de quatre heures. Le colonel Purdy, marchant au bruit de la fusillade, se montra enfin vis-à-vis du gué de la rivière, mais on l’y attendait et il fut contraint de se retirer. À deux heures et demie de l’après-midi, Hampton recula, laissant plus de quarante morts sur le terrain. Cinq Canadiens étaient tués ; vingt blessés. Comme la bataille se terminait, sir George Prevost et le général de Watteville survinrent et comblèrent d’éloges la courageuse petite bande qui n’avait pas voulu se laisser battre par des forces vingt-trois fois supérieures. Le soir de cette journée, Salaberry écrivait à son père : « J’ai remporté une victoire monté sur un cheval de bois, » par allusion à la souche dont nous avons parlé.

Hampton se cantonna à Four Corners, attendant les événements, mais, bientôt harassé par les tirailleurs de Salaberry, il compléta sa retraite, en rentrant à Plattsburg, sans avoir cherché à rejoindre Wilkinson.

Celui-ci, avec près de dix mille hommes, s’était mis en marche le 3 novembre et avait pris terre du côté canadien du fleuve, suivi de près par le général anglais Rottenburg. Rendu à la ferme d’un colon nommé Chrysler, à mi-chemin entre Kingston et Montréal, les deux corps se heurtèrent. C’était le 11 novembre. Le lieut.-colonel Morrison, du 89e régiment dirigea la lutte. Il y eut, de part et d’autre, de quatre à cinq cents tués ou blessés. Bien que fort maltraitées, les troupes de Wilkinson se trouvèrent le lendemain à Cornwall et à Saint-Régis, continuant leur route sur Montréal, mais la défaite de Hampton à Châteauguay, qu’elles apprirent en ces lieux, les détermina à repasser la frontière. L’invasion était finie. Le 17 novembre la milice fut congédiée avec force remerciements.

En même temps qu’il apprenait la déconfiture de ses généraux, M. Madison, président des États-Unis, recevait d’Europe la nouvelle des revers éprouvés par les Français à la fin de la brillante campagne de Saxe. Il résolut d’attendre.