Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
102
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

nous oblige à reconstituer souvent des notes et des démonstrations qui se trouvent toutes faites dans ses cahiers.

La guerre venait de se terminer par le traité de Gand (24 décembre 1814) lorsque le colonel Joseph Bouchette, qui était arpenteur général du Bas-Canada et avait été chargé de plusieurs missions de confiance depuis deux ans, se rendit en Angleterre où il publia sa Description Topographique du Bas-Canada, accompagnée d’une carte savante et lucide qui est un modèle du genre. Cette œuvre de maître, comparable aux meilleurs ouvrages dont la vieille Europe puisse s’honorer, est encore consultée chaque jour.

La même année, M. Michel Bibaud, fondait à Montréal, l’Aurore des Canadas, une revue instructive et supérieure, sous bien des rapports, aux publications que nous possédons aujourd’hui. M. Bibaud descendait d’un colon établi dans la province antérieurement à 1680. Pendant une quinzaine d’années il resta sur la brèche, recevant des écrits de toutes part et les publiant dans ses journaux et ses revues, rédigeant lui-même de très bons articles, conseillant la jeunesse, en un mot imprimant le branle à notre littérature et tâchant de faire rivaliser Montréal avec Québec dans le domaine des lettres et des études scientifiques.

Michel Bibaud a passé sa vie dans l’étude, sans jamais s’occuper de politique et sans manifester aucune ambition personnelle. Il se contenta de travailler, penser, écrire pour ses compatriotes, ne songeant qu’à se rendre utile et à laisser un nom respecté. Son caractère réunissait plusieurs mérites, précieux en tout temps : l’amour des recherches, la droiture, le patriotisme. On reproche à son travail sur l’histoire du Canada d’être un peu trop du genre maître d’école, mais l’ensemble en est bon ; la plupart des colonies n’ont rien de mieux que Bibaud et elles se montrent fières de leurs auteurs. Si Garneau n’était pas venu, Bibaud serait encore notre guide le plus sûr. Attaché par conviction au parti bureaucrate, il est cependant resté Canadien de cœur. La crainte d’être pris pour un libéral ou sujet déloyal, comme on disait de son temps, a beaucoup amoindri la valeur de sa plume. Très précautionneux, il nous laisse l’impression d’un auteur qui eut brillé vivement sous un régime de liberté. C’est à lui que nous devons aussi le premier volume de vers canadiens.

En 1819, le Canadien reparut à Québec et dura jusqu’à 1822. Ce recueil, moitié politique, moitié littéraire, était placé sous le patronage (non avoué) de Mgr  Plessis. Il disparut pour avoir publié un article qui ne plaisait point au prélat.

M. Le Plée, parcourant la province, en 1821, parle du mouvement littéraire et loue les Canadiens des efforts qu’ils font pour soutenir quelques revues dignes d’encouragement. La France elle-même était alors assez indifférente aux travaux de ses écrivains. Les préoccupations politiques absorbaient toute l’attention. Nous n’étions pas mieux situés sous ce rapport. Les Anglais avaient préparé un projet d’union des deux Canadas qui menaçait nos plus chères espérances. M. Bibaud, tout bureaucrate qu’il était, combattait ce projet. Le jeune Étienne Parent le repoussait aussi dans le Canadien. Il y eut un moment où les poètes cessèrent de se faire entendre, pour prêter l’oreille aux échos qui nous arrivaient de Londres. Auguste-Norbert Morin, dans des vers faciles et patriotiques, s’exerçait alors aux combats de la plume qui ont rendu son nom célèbre parmi nous.