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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/121

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

armées anglaises avaient pris des terres dans les cantons de l’Est et dans le Haut-Canada. Cette dernière province promettait de se peupler ; un jour devait venir, pensait-on, où elle aurait son mot à dire dans le concert canadien — il fallait arranger les choses pour qu’elle pût balancer l’influence des anciens colons — ceux de race française. Nos représentants répondirent à cette tentative par l’envoi de délégués à Londres, qui réussirent à faire manquer le projet. C’est une chose remarquable que, en plusieurs circonstances, nous avons su éviter des mesures conçues contre nous ou du moins retarder leur mise en force, en faisant des représentations directes aux ministres de Londres. Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son. Le cabinet impérial recevait des plaintes des marchands anglais du Canada et devait, jusqu’à un certain point, les croire justifiables — mais du moment où nos délégués se présentaient au bureau colonial la contre-partie de ces rapports créait une autre impression. Ce n’est pas que l’on nous reçut à bras ouverts, oh ! non. Les abords du ministère étaient difficiles à franchir. Plusieurs fois il s’est écoulé des semaines avant que nous eussions gagné la faveur d’une entrevue. Le charme opérait sous la parole franche de Neilson, de Viger, et d’autres qui bravaient, durant des mois, le dédain des commis et les rebuffades des chefs, afin de parvenir à soumettre les réponses dont ils étaient porteurs.

Lorsque les Canadiens reprirent l’idée de Bédard de contrôler les finances du pays, Papineau s’empara de ce cheval de bataille et ne le lâcha plus. Tel était bien là, en effet, le point tournant de la situation. Disposer des deniers publics, c’est l’alpha et l’omega du rouage administratif. Les gouverneurs trouvèrent ce projet scandaleux. Petits à petits, ils en vinrent à certaines concessions, néanmoins. De ce moment, les Canadiens demandèrent le ministère responsable, c’est à dire des ministres nommés, ou par les chambres ou par le gouverneur, mais obligés de plier devant la volonté de la chambre basse en tout ce qui concerne les dépenses d’argent. Le ministère, tel que nous l’avons aujourd’hui, ne paraît pas avoir été compris — il ne l’était pas même en Angleterre. Les progrès des derniers trente ans en ce sens sont immenses, comparés à la lenteur de ceux des temps jadis.

Ce qui contribuait, plus que tout le reste, à tenir le pays en fermentation, était la manière brutale employée pour obtenir ou contenir le vote populaire. Les élections se faisaient par la violence. Un élément nouveau, introduit en Canada à la suite de la misère qui régnait en Irlande, vint, à point nommé, renforcer la main des Anglais et des bureaucrates. Les Irlandais combattirent partout les Canadiens — sans doute pour reconnaître l’extrême charité dont ceux-ci avaient fait preuve envers eux lors de leur arrivée parmi nous. Vers 1833, nous avions sur les bras ces antagonistes d’un nouveau genre — et nous les avons encore, bien que le bâton soit aboli à présent.

M. Papineau, devenu le pivot sur lequel tournait la situation, demanda la formation d’une chambre haute élue par le peuple. Son but était d’enlever au parti anglais le moyen de balancer la chambre basse. Un ministère, responsable à l’assemblée, eut été plus avantageux, sous tous les rapports. Sans mettre d’obstacle à ce dernier projet, qui occupait également les esprits, M. Papineau le traita froidement — et ce fut assez pour en gêner la marche, car le tribun populaire avait conquis une telle puissance sur les imaginations que les députés