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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/122

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ne voyaient que par ses yeux. À la distance où nous sommes de ces événements, il est difficile de les apprécier en détail. Dans la politique, la valeur des circonstances, toujours peu connues du vulgaire, explique souvent bien des choses qui ensuite nous étonnent au premier aspect. Les hommes du temps de Papineau n’ont pas laissé de mémoires écrits. Tout ce que nous pouvons savoir de leurs agissements est compris dans quelques motions déposées à la chambre et dans les journaux du parti, c’est-à-dire que nous sommes réduits souvent à lire entre les lignes. Veut-on savoir ce que pensaient alors les Canadiens ? On se trouve en présence de cette opinion : « M. Papineau sait ce qu’il a à faire. » M. Papineau le savait-il toujours ? Les grands meneurs du peuple n’ont pas ordinairement des vues d’avenir bien définies, ils s’appliquent plutôt à renverser qu’à édifier. Le lendemain échappe à leur calcul. Déchaîner le lion populaire semble être l’unique but de leurs efforts. Il vint un moment où M. Papineau se vit interroger sur ce point par les députés de Québec. Le parti canadien se scindait. Les années 1833, 1834 étaient pleines de menaces. Il fallait savoir se contraindre, ou tout risquer, mais en risquant la sagesse voulait que l’on se réservât des chances de salut. M. Papineau n’en avait pas, sauf l’annexion aux États-Unis, et encore ici se posaient deux questions : Nos voisins nous soutiendraient-ils ? nous soutenant serions-nous mieux que sous le régime anglais ? Lord Aylmer était gouverneur ; assez mal conseillé, il aggrava la situation. M. Papineau crut le moment favorable ; réunissant dans un factum connu sous le titre des 92 Résolutions, tous les griefs que la colonie et les Canadiens avaient déjà formulés contre l’Angleterre, il enleva la chambre par de nouveaux discours — mais le « parti de Québec » se sépara de lui, pensant qu’il allait trop loin dans la voie non des réclamations mais de l’agitation.

La Minerve à Montréal, le Canadien à Québec, défendaient la cause des Canadiens avec vigueur. En 1832, M. Ludger Duvernay, propriétaire de la Minerve et M. Tracy, rédacteur du Vindicator avaient été emprisonnés par suite d’attaques dirigés contre le conseil législatif. On n’osa pas instituer leur procès et tous deux devinrent l’objet d’ovations populaires inquiétantes pour le gouvernement. Le 92 Résolutions arrivant sur ces entrefaites, ou à peu près, n’étaient pas de nature à calmer les esprits. Duvernay profita de l’occasion pour organiser une société nationale sous le nom de Saint-Jean-Baptiste, lui donna pour devise « nos institutions, notre langue et nos lois », motto du journal le Canadien, et adopta la feuille d’érable avec le castor[1] comme emblèmes. Un banquet d’inauguration eut lieu, à Montréal,

  1. À la page 132 du tome III du présent ouvrage, nous avons cité le fait que, en 1673, le comte de Frontenac proposa de placer un castor sur l’écusson de la ville de Québec. Un journal de Montréal, “The Star”, dans son numéro du 20 janvier 1883, nous signala que, sur les armes de sir William Alexander, qui datent de plus de deux siècles et demi, on voit un castor avec cette devise : « per mare, per terras », et il en concluait que c’était le plus ancien emploi de la figure de cet amphibie comme emblème canadien. Nous n’avions pas considéré le projet de Frontenac comme le plus ancien. La curiosité nous porta toutefois à aller aux renseignements. Un nommé Alexander Humphreys, se prétendant descendant de sir William Alexander, revendiqua les titres de celui-ci, en 1836, et publia dans ce but un livre dans lequel il décrit les armes de son ancêtre, portant un ours ; on a wreath a bear sejant, erect, proper. Du mot bear, il nous parut que l’on avait fait beaver en commettant une faute purement typographique, et c’est pourquoi, à la page 128 du tome IV nous avons dit qu’il s’agissait d’un ours. M. Douglas Brymner, dont les connaissances sont toujours précieuses, eut la bonté de nous dire qu’il entretenait des doutes sur ce sujet et qu’il allait s’en occuper. Après avoir écrit en Écosse, il nous montra un article de sa plume qui règle la question et qu’il publia dans le Canadien Illustrated News (28 avril 1883). Il appert que l’ours en question figurait sur les armes de l’une des branches de la famille Alexander. Nous n’avions tort qu’à demi. Jusqu’à 1632, l’ours des Alexander surmonta l’écusson de cette famille ;