Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’esprit des Canadiens, mais en 1837, l’intervention des États-Unis n’était pas à craindre, et d’ailleurs les Canadiens se prononçaient en immense majorité pour la discussion paisible — pourquoi donc avoir agi avec une sévérité si terrible ? Pourquoi l’exil et l’échafaud, l’incendie et le pillage ? C’était beaucoup d’horreurs commises pour arrêter un petit mal, un mal qui ne menaçait pas de se propager : trois régiments en garnison quelque part eussent contenu les tapageurs, sans qu’il en coûtât rien.

Le commerce a contribué plus qu’on ne pense à inspirer le mouvement de 1837. De tous temps, même sous le régime français, la ville de Montréal a eu des attaches avec les commerçants des colonies anglaises. Cette situation s’est continuée après la conquête. En 1775. Montréal entra d’emblée dans l’idée « bostonnaise ». Les gens de bourse jouent partout et toujours un rôle plus réel qu’apparent. Ils mettent dans le jeu les cartes biseautées. Cela ne veut pas dire qu’ils gagnent constamment la partie ; sur l’ensemble ils ne peuvent pas se plaindre, néanmoins ! Les marchands de Montréal, connaissant où devait aboutir l’insurrection si elle devenait sérieuse, y voyaient une chance de rapprochement avec les États-Unis et, sans se compromettre, ils attisaient habilement l’esprit de résistance. Ce fut tout le contraire à Québec où les navires d’outre mer apportaient chaque année le travail rémunérateur et un contingent de purs sujets britanniques non encore américanisés ; de ce côté le commerce resta froid et ne laissa percer aucun désir de voir s’étendre le mouvement de Montréal. Les Canadiens qui n’aimaient pas le système politique imposé par l’Angleterre, devenaient manifestants à Montréal, écouteurs à Québec. C’est ce que bien des gens persistent à ne pas comprendre.

Le sentiment du district de Québec a toujours été plus canadien que celui du district de Montréal. Cela s’explique. Québec s’ouvre sur le golfe — la mer ; Montréal vise à se rallier aux États-Unis — l’intérieur. L’un regarde au nord, l’autre au sud. Les intérêts commerciaux priment toute considération, dans l’un comme dans l’autre cas. Il s’en suit que les Canadiens de Québec ne se pressent jamais de se jeter dans les aventures et qu’ils aiment mieux rester stationnaires que de risquer un pas vers l’inconnu. Les fortunes des québecqois sont placées en lieux surs ; celles de montréalais vont au hasard du marché monétaire. À Québec, en 1837, on ne voulait pas risquer un changement de drapeau ni une transformation dans les comptoirs ; à Montréal tout semblait acceptable.

Dans un livre qu’il vient de publier, M. J.-G. Bourinot raconte que le rédacteur du Canadien fut emprisonné (1838) parce qu’il animait le peuple à la révolte. Qui ne sait que M. Parent s’était séparé avec éclat de M. Papineau, trois années auparavant, parce que ce dernier poussait trop loin l’agitation ? En 1838, M. Parent eut le courage d’écrire que les actes de vengeance exercés par les troupes anglaises dans le district de Montréal étaient un autre genre d’excès, aussi réprouvable que la levée de boucliers des patriotes. La-dessus il fut arrêté. Son procès n’a jamais eu lieu.

Dans la répartition du patronage public les Canadiens ne comptaient pas, à moins que