Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Ainsi donc, le Haut-Canada a été amené à la confédération par le désir de mettre à quia l’élément français ; le clergé catholique du Bas-Canada a accepté le pacte dans l’espoir d’étendre son influence ; les districts avoisinant la mer ont voulu contracter mariage, croyant qu’il serait avantageux de s’allier à une famille entreprenante et bien vue de l’Angleterre.

Certes ! personne ne conteste le développement du Canada depuis 1867. Nous sommes tous enthousiastes de ses progrès. L’idée était juste et grande. Elle n’a pas répondu exactement aux désirs du Haut-Canada puisque la race française n’y a point trouvé son tombeau, mais dans l’ensemble cette province a lieu de se féliciter de la part que lui fait l’administration fédérale.

La cession des territoires de nord-ouest, faite par la compagnie de la baie d’Hudson au Canada, avec l’assentiment du cabinet de Londres, paraissait devoir s’accomplir sans obstacle. On vit bientôt que la population de la rivière Rouge, le groupe principal des colons de cette contrée, n’avait pas été consultée et qu’elle entendait poser ses conditions dans un arrangement de cette nature. Du coup, on la qualifia de rebelle. Le Canada traitait les habitants du nord-ouest avec le sans-gêne que l’Angleterre avaient jadis manifesté envers nous. Louis Riel, enfant du pays, s’empara de la situation et rédigea une « liste des droits » de ses concitoyens qui entraîna l’adhésion de la plupart de ceux-ci. Il y eut une lutte (1870) entre le Canada et le Manitoba ou rivière Rouge. Riel, allant trop loin, perdit l’occasion d’être le médiateur reconnu des deux puissances en conflit. La prise d’armes dont il fut le chef n’était pas aussi complètement française qu’on le dit. Bien des colons, Écossais et Anglais, marchaient sous son drapeau qui était canadien. Le parlement d’Ottawa comprit la « liste des droits », l’incorpora dans une loi organique et fonda la province dite de Manitoba. Au moment où ce bill passait par les deux chambres, à Ottawa, Riel n’avait pas encore désarmé, preuve que l’on adoptait ses vues, malgré qu’on parlât de rébellion — et malgré les actes de violence dont ce chef populaire s’était rendu coupable.

Les annexions de la Colombie-Anglaise et de l’île du Prince-Edouard vinrent ensuite. D’un océan à l’autre, le Canada fit reconnaître son empire. Le Dominion[1] construisit des chemins de fer — surtout celui du Pacifique — et prit place parmi les grands pays. Le jour n’est pas loin où la Grande-Bretagne le regardera plutôt comme un auxiliaire que comme une colonie dépendant de ses bonnes grâces. Dans cette situation nouvelle, il nous suffit que la nationalité française soit sauvegardée. Un pays jeune ne saurait rien craindre de l’avenir si la balance du pouvoir réside dans la volonté du peuple, d’un peuple comme le nôtre qui sait parfaitement ce qu’il lui faut et qui ne se passionne que pour la justice.

La constitution actuelle du Canada n’est pas parfaite, dit-on. Sans doute ! Nous la corrigerons du jour au lendemain, à mesure que ses défauts nous embarrasseront. Si quelqu’un n’est pas content qu’il le dise — et si la majorité est de son avis, le changement demandé s’opérera. Telle est la sagesse de notre population, qu’elle parle anglais ou français. Nous

  1. C’est le terme employé par Bouchette (1815) lorsqu’il parle des deux Canadas et des provinces maritimes réunies. Le mot, en lui-même n’était pas neuf, mais appliqué à notre situation, il est assez curieux après soixante et dix ans.