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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

plaire. C’est que, parmi nous, toute nouveauté comporte un danger. Étant les moins forts numériquement, nous nous tenons sur le qui-vive, la sage réserve, mais nous ne repoussons pas les offres de nos voisins : toute proposition mérite d’être examinée, comme toute question est digne d’une réponse.

La représentation parlementaire calculée d’après le chiffre des électeurs était le rêve de plusieurs de nos députés, en 1842, mais M. Étienne Parent, avec cette justesse de vue qui caractérise ses articles, avait dissuadé nos compatriotes de réclamer ce droit : « Le jour viendra, et tout prochainement, disait-il, où le Haut-Canada, recevant l’immigration des îles britanniques, comptera autant d’habitants que nous et peut-être davantage ; ne créons pas un précédent qui tournerait contre nous. » La prévision du journaliste s’est vérifiée : en 1860 la province supérieure renfermait autant d’habitants que le Bas-Canada, et M. George Brown, qui demandait alors la répartition des votes parlementaires d’accord avec le nombre des électeurs, tendait manifestement à l’absorption de l’élément canadien-français, parce qu’il entrevoyait le jour où la population de sa province dépasserait en nombre celle du Bas-Canada et cela est arrivé, mais en dépit de ses calculs, les Anglais d’Angleterre ont tout à coup cessé (vers 1868) de s’établir parmi nous : les colonies du sud, qui venaient de s’ouvrir, les tentaient beaucoup plus ! Nous sommes restés avec nos ressources, face à face : c’est assez dire que la force d’expansion des Canadiens-Français doit être victorieuse dans une lutte de ce genre.

L’erreur du Haut-Canada fut de croire qu’il réduirait la députation canadienne-française à l’insignifiance, à l’aide d’une chambre composée principalement de nationalités étrangères à la nôtre. Le contraire arriva. Cette minorité, compacte et bien guidée, possède la balance du pouvoir. Aussitôt après 1867, on s’en aperçut à l’ouest et à l’est. Jusqu’à cette date, nos journaux n’étaient pas cités par la presse de langue anglaise ; leur existence n’était pas même connue des lecteurs. Depuis lors on les consulte, on les commente, et ceci joint aux surprises des votes parlementaires, a fait plus parler de nous en Amérique depuis quinze ans que durant tout le siècle antérieur à la confédération.

Lorsque vint le moment de décider si nous aurions ou non un changement dans la forme de l’administration politique, c’est à dire si la confédération des provinces se ferait ou ne se ferait pas, les habiles firent entendre au clergé catholique de la province de Québec que, sous le régime proposé, son influence à lui, le clergé, redoublerait. Il le crut, parla en faveur de la confédération, l’obtint, et il se trouve satisfait du résultat. Si, demain, on nous demande de voter l’union législative et qu’on persuade au même clergé de l’accepter pour le même motif, il l’acceptera. C’est lui, sans aucun doute, qui a fait pencher la balance, dans notre province, en faveur de la confédération. C’est lui qui parlera le plus haut et avec le plus de chance de succès si l’on nous appelle à modifier la situation actuelle. En ce cas, il se guidera d’abord sur ses propres intérêts, ensuite il s’efforcera de donner à ses démarches un sens national. Depuis les jours de Mgr  Plessis, sa politique n’a pas variée. Le clergé tient les fils de l’opinion publique et soigne ses intérêts avant tout.