Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

rieur ; 10. Établissement militaire ; création d’un régiment canadien[1] à deux bataillons ; 11. Liberté de la presse ;[2] 12. Collèges pour l’instruction de la jeunesse ; emploi des biens des jésuites pour cet objet, conformément à leur destination primitive ; écoles publiques dans les paroisses ; 13. Naturalisation des Canadiens dans l’étendue de l’empire britannique. Nous ne voyons rien dans tout cela au sujet des droits de la langue française. Cette lacune paraîtrait énorme aujourd’hui.

Une telle constitution, observe M. Garneau, serait plus complète que celle qui nous fut donnée en 1791. À l’article du gouverneur, Ducalvet allait même au-delà des partisans du ministère responsable, car il englobait dans sa prescription un fonctionnaire qui jusqu’à présent a toujours relevé des autorités impériales ; en le rendant sujet à nos lois, il voulait ôter à la métropole un pouvoir qu’il regardait comme dangereux, et il ajoute que la chose ne serait pas nouvelle puisque le gouverneur Murray avait été jugé,[3] à Québec, sur la plainte d’une personne habitant la colonie. En tous cas, ce précédent n’a pas été suivi.

On ne saurait douter que la plus forte partie des accusations de Ducalvet contre le régime de la colonie venaient de ses difficultés avec le général Haldimand. Celui-ci s’était particulièrement rendu désagréable par les corvées dont il accablait les gens de la campagne, aussi l’annonce de son départ (1784) fut-elle accueillie par une sorte de soulagement de l’esprit public. Bientôt certaines réformes ou changements dans l’administration du pays portèrent la population à croire que le cabinet de Saint-James se prêterait à l’avenir avec bonne grâce aux représentations qui lui seraient faites par les Canadiens.

La réorganisation de la milice, l’instruction publique, la création d’une chambre élective, passionnaient l’opinion. Le projet d’établir le jury était assez mal vu de la plupart des Canadiens-Français ; d’autres au contraire l’invoquaient constamment ; enfin le conseil législatif décréta (1784) l’emploi du jury dans les matières commerciales et il fallut en passer par cette décision. La chronique rapporte que M. Conrad Gugy, conseiller, l’un des auteurs de la loi en question, fut le premier qui subit un procès devant les jurés — et qu’il le perdit ; il en conçut un si vif chagrin qu’il mourut le soir même.

Au printemps de 1785,[4] M. Henry Hamilton, lieut.-gouverneur de la province, remplaçant temporaire du gouverneur-en-chef, fit adopter au conseil législatif le règlement de l’Habeas Corpus, qui fut regardé comme le résultat des démarches de la délégation de Montréal et du livre de Ducalvet. L’année suivante, sir Guy Carleton, devenu lord Dorchester, apporta des instructions plus larges que par le passé et qui ne contribuèrent pas peu à rendre ce gouverneur populaire au milieu d’un peuple déjà très-attaché à sa personne.

  1. Il disait que les officiers de milice, étant nommés par le gouverneur et révocables au gré de celui-ci, ne pouvaient être que des agents politiques répandus dans les paroisses.
  2. Si on la musèle, disait Ducalvet, elle deviendra clandestine.
  3. Ceci aurait eu lieu en 1762. M. de Gaspé prétend que le général Murray commença par s’attirer le mécontentement des Canadiens, mais qu’il modifia ensuite ses procédés à leur égard.
  4. En 1786, le colonel Hope remplaça M. Hamilton. Lord Dorchester, nommé au mois de juin de la même année, arriva à Québec le 23 octobre.