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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

recherché par le sergent d’armes, se cacha, continua de fulminer à pleines colonnes de son journal, épuisa la patience de la police, mit de cette façon les rieurs de son côté et gagna d’être laissé libre de circuler et d’écrire. Les Anglais nous rendirent le change de cette pièce en 1832 par l’emprisonnement de M. Tracy et Duvernay. Le Mercury disait, en 1806, que le devoir des bons sujets était de travailler à amoindrir l’influence des Canadiens, car après un demi siècle d’occupation, ajoutait-il, il est juste que l’Angleterre ait ici une province parfaitement anglaise.[1]

Zèle outré, de la part des « amis du château », comme on disait alors, et déploiement de courage de la part des Canadiens qui tenaient à ne pas se laisser dominer ou absorber, telle fut, pendant de longues années, la situation qui embarrassa les gouverneurs et les ministres des colonies. C’est l’histoire de nos parlements depuis 1792 jusqu’à 1840 et au delà. La même question revenait sous mille formes. Constamment, les « patriotes » se remettaient à argumenter, la minorité anglaise à protester, le conseil à chercher des faux-fuyants et le gouverneur à tâcher d’effrayer les esprits par la crainte de l’Angleterre.

Sir Robert Shore Milnes partit pour l’Europe le 5 août 1805. M. Thomas Dunn, plus ancien conseiller exécutif, le remplaça et ouvrit la session du parlement le 20 février 1806. Les débats sur la construction des prisons, la taxe des terres et du commerce, occupèrent une partie du temps des législateurs. On parla beaucoup de la bataille de Trafalgar — mais la censure contre la Gazette de Montréal et le Mercury passionna davantage les députés. Quatre ans plus tard, le gouverneur Craig, mettant en pratique ces idées de répression, supprima le Canadien.

Il est vrai que les abus de langage de la Gazette et du Mercury avaient de quoi irriter des hommes d’honneur. Les attaques pleuvaient comme grêle. Les esprits des Canadiens se montaient à la lecture des articles hostiles et surtout injustes de cette presse dont la conduite était confiée aux ennemis les plus déclarés de leur race. Il n’y avait pas de lutte — l’un des partis imprimait ; l’autre s’exaspérait. De là cette censure contre des journaux qu’il eut fallu non pas écraser mais rencontrer sur leur propre terrain. On finit par le comprendre : le Canadien fut fondé. Il parut le 22 novembre 1806 et se composa principalement d’articles refusés par le Mercury, et, sans retard, il se mit à publier des documents historiques concernant la cession du pays à l’Angleterre, sur les premiers temps du régime britannique en ce pays, sur l’acte de Québec et la constitution de 1791. Ce dossier si clair et si honorable pour nous renversait les accusations de nos adversaires. La souscription s’étendit rapidement dans les campagnes, preuve que si les Canadiens n’avaient voulu recevoir ni la Gazette de Québec ni le Mercury ce n’était pas pour cause d’ignorance, mais parcequ’ils n’aimaient pas à encourager des feuilles mal disposées envers eux. La liberté de la presse, disait le nouvel organe, est intimement liée au bonheur des peuples ; elle doit s’étendre à toutes les classes ; on flétrit nos compatriotes, et on nous refuse le droit de répondre aux attaques — mais tout cela ne

  1. La population du Bas-Canada était de 250,000 âmes.