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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

soins se tournèrent ensuite du côté du Haut-Canada, province ouverte, d’un niveau désespérant pour la défense et tout à fait dépourvue de moyens artificiels pour résister à une invasion. Il nomma le général Brock au commandement de cette partie du pays, et lui conféra les pouvoirs administratifs en outre que le gouverneur Gore venait d’abandonner. On savait alors que la population du Bas-Canada se lèverait, jusqu’au dernier homme, contre les Américains, mais ceux-ci se flattaient d’entraîner dans leur mouvement un fort parti, mécontent de l’administration de Craig. Ils avaient même représenté la chose à Napoléon, leur allié, et tous ensemble ils se persuadaient que la population française de la province de Québec s’unirait de corps et d’esprit aux adversaires des Anglais. La même erreur s’est répétée depuis : les étrangers ne veulent pas comprendre que nous agissons dans nos intérêts propres et que nous combattons les Anglais comme les Américains, avec la seule ambition de nous maintenir chez nous sans jamais reconnaître le droit des uns ou des autres de nous rendre dépendants d’eux. Il y a plus de fierté et de sentiment de liberté chez les Canadiens-Français que dans toute autre nation. Parce que nous sommes le petit nombre, il ne s’en suit pas que nous acceptions tout ce que l’on nous propose. Les plus belles pages de notre histoire sont celles où nous avons résisté à plus fort que nous. Sir George Prevost savait que les Américains se jetteraient d’abord sur le Haut-Canada, peu peuplé et facile à conquérir par sa forme physique, et ensuite qu’ils s’imaginaient que, sur un simple appel, le Bas-Canada suivrait leur dictée. Or, il en était tout autrement. Le Haut-Canada pouvait être défendu par les troupes anglaises, et le Bas-Canada, plus fort stratégiquement, enverrait sa population toute entière contre l’envahisseur. Brock, officier intrépide, initié à la situation du pays en général, méritait d’être mis à la tête du Haut-Canada ; il le fut. Prevost habile officier et diplomate, se réservait le Bas-Canada, comptant que, si la province supérieure succombait, les Canadiens-Français ne laisseraient pas passer l’ennemi. Ses prévisions se sont réalisées.

Ayant donc vu la couleur des choses, le gouverneur convoqua les députés, à Québec, le 21 février 1812. On discuta, dans cette assemblée, avec le calme des anciens Romains, comme si la guerre ne menaçait pas le pays. Les accointances du cabinet de Washington avec Napoléon n’étaient plus un mystère. Si l’empereur des Français tirait de nouveau le glaive, les Américains tenteraient de prendre le Canada. À tout événement, nos hommes politiques étaient en faveur de la résistance. La paix du monde semblait symbolisée par l’attitude de l’Angleterre. Nous penchions de ce côté. L’esprit de conquête, si mal vu par les Canadiens lorsqu’il s’était agi de Napoléon, ne pouvait leur plaire du moment où un voisin ambitieux les menaçait, d’accord avec ce même potentat. Les milices, allant droit au but, voulaient régler la question les armes à la main.

Durant cette même session, on modifia la loi des suspects, afin de ne plus laisser au gouverneur et à son entourage, un privilège dont l’abus s’était fait sentir principalement dans l’affaire du Canadien. Une loi d’enrôlement de la milice volontaire fut votée. On s’occupa de la navigation à vapeur sur le fleuve, tant pour le commerce que pour des fins militaires. Les communications par voie de terre reçurent une large part de l’attention de la Chambre.