Page:Sulte - Historiettes et fantaisies, 1910.djvu/35

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J’ai connu un homme complaisant, qui se faisait adjuger une foule d’objets destinés à faire le bonheur de ses amis. On les lui payait, on le remboursait, bien entendu, mais au prix coûtant. Rien pour sa peine, qui était du plaisir. Il savait acheter de façon que, par son intermédiaire, nous avions la certitude d’en avoir pour notre argent et davantage. Un jour, il se trouva à la tête de trente-six brouettes, à une piastre et quinze sous la pièce — ce qui ne payait pas la roue. Il rangea la marchandise dans la cour de sa maison ; les voisins et amis arrivaient, faisaient leur choix, payaient, le remerciaient — en deux semaines il n’en restait plus. Voilà ce qui s’appelle faire des heureux. Plusieurs s’étaient d’abord moqués de lui ; ceux-là furent les derniers à aller choisir des brouettes — déception ! elles étaient toutes placées !

D’autres sont moins utiles à la société, mais les encanteurs les tiennent en haute estime. Ils ont la manie des enchères. Durant la première heure de la séance, ils « font monter les objets » — ensuite ils se mettent à acheter, coûte que coûte. C’est ainsi, me dit-on, que madame Trois-Étoiles devint acquéreur d’une plaque de porte sur laquelle était inscrit le nom de Joseph Lafleur. Elle expliquait cet achat par le raisonnement qui suit :

— Ma fille sera bientôt en état de se marier ; il ne manque pas de gens nommés Lafleur… l’un d’eux pourrait fort bien s’appeler Joseph… ma fille l’épouserait tout comme un autre… Je ne m’y opposerais pas…

Quand les intentions sont droites…

Très-souvent, c’est le mari qui entre, par accident, ou pour se délasser, chez l’encanteur, en revenant du bureau, par exemple. Il ne pouvait pas ne pas être tenté par les articles qu’il y a vus — et à des prix fabuleusement bas — presque pour rien.