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OUSTA HASSAN ET DOR ALI.

5 mars. — Un homme qui depuis l’aurore nous épiait au travail et nous examinait au repos vient de solliciter une audience de Marcel.

L’étranger porte le turban des Dizfoulis. Le regard et le sourire manquent de franchise, le visage dénote une certaine intelligence, l’allure un mélange de timidité et d’audace dont seuls les poltrons en rupture de ban connaissent le secret. On ne bâtit pas en hiver ; Ousta Hassan, maçon de son état, est donc inoccupé. Creuser des trous ne nécessite pas un esprit plus délié que construire des murs quand le diable reste neutre. Notre homme embaucherait des terrassiers et les amènerait si on lui promettait un honnête salaire. Après de laborieuses négociations, Marcel a fixé à quinze chaïs le prix de la journée. L’entrepreneur recevra un kran et touchera une prime quotidienne de deux chaïs par ouvrier placé sous ses ordres.

« Il faudrait aussi engager Dor Ali, ajoute le compère en nous présentant un personnage à la figure inquiète et à la bouche muette. C’est un ancien toufangtchi (fusilier), obligé d’abandonner la carrière des armes parce que sa solde n’était jamais payée et qu’on ne lui fournissait ni une koledja (redingote) à mettre sur le dos ni un grain de poudre à jeter dans le bassinet de son fusil.

— J’engage aussi Dor Ali, réplique Marcel ; mais faites-moi connaître l’un et l’autre le motif qui vous a conduits au gabr.

— Tout Dizfoul s’occupe de vous. Hier, comme nous parcourions le bazar, on nous raconta que, sur les quatre Faranguis, il y en avait un, le plus petit, qui avait piqué une tête au milieu du Chaour avec l’espoir de pénétrer dans la chambre sépulcrale où l’on conserve, loin des regards profanes, le corps du saint prophète. Depuis quatre jours, ajoutait-on, il n’était pas remonté à la surface, buvait l’eau du ruisseau et se nourrissait de poissons crus. « Si nous allions jouir de cet étonnant spectacle : il est gratuit, ai-je dit à Dor Ali. J’aimerais bien voir ce Farangui quand il abandonnera la compagnie des carpes et des tortues. » Nous n’étions retenus par aucun engagement ; prendre un baudet, charger sur son dos un peu de farine, nous diriger vers le gabré Danial, ne demandait pas grand temps.

« Dor Ali croyait connaître le chemin de Chouch, mais il s’est perdu et m’a fait coucher sous un konar. Je tremble encore à la pensée que les Arabes auraient pu voler mon âne. Enfin, nous apercevons la flèche blanche du tombeau. La crainte d’arriver trop tard me rend des jambes de vingt ans ; je cours et je m’installe sur les rives du Chaour.

« Que cherches-tu ? me demande un pâtre. — J’attends la sortie du jeune homme qui vit sous l’eau. — Tu es aussi fou que les chrétiens. Tes Faranguis sont là-haut ; ils déterrent une grosse pierre. » Nous sommes montés et nous avons été forcés de convenir que vous ne différiez guère des hommes ordinaires. Remuer la terre sans nécessité me semble une singulière occupation, mais cela vous regarde. Si