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À SUSE.

le cheikh Taher et l’imam djouma, que j’irai consulter, m’y autorisent ; si le sous-gouverneur, auquel je puis faire parler, parce que ma femme est la belle-sœur du cousin de son pichkhedmet (valet de chambre) favori, ne me le déconseille pas ; si, après avoir pris l’avis de mes parents et des familles de mes femmes, je ne vois pas de trop grandes difficultés à vous servir, je vous amènerai des ouvriers. Je partirai ce soir avec Dor Ali.

Peder soukhta ! (père brûlé), s’écrie celui-ci d’une voix étranglée, tu feras bien le voyage tout seul. Si on te détourne d’avoir commerce avec les chrétiens, tu te tireras d’embarras, parce que tu es un homme puissant. Tu as réparé la maison de mollah Houssein et celles de bien d’autres religieux qui ne t’ont jamais payé tes journées ; puis ta femme est la belle-sœur du cousin du pichkhedmet favori du khan ; mais moi !… on me mettrait la chaîne au cou, on meurtrirait la plante de mes pauvres petits pieds, peut-être m’étranglerait-on. Si j’ose prendre la détermination de travailler ici, personne ne me reverra à Dizfoul.

— Quel mobile te pousse à m’offrir tes services, puisque notre fréquentation est si dangereuse ? demande Marcel.

Mon cœur est serré. Je suis veuf. Ma pauvre petite femme est morte !…

— Je regrette d’avoir ravivé ta douleur.

— Voilà trois ans que j’épargnais trente krans pour en acheter une autre ; un voisin me les a volés. Je suis au désespoir ! » Et Dor Ali, ému jusqu’aux larmes, essuie ses pleurs avec un pan de sa… koledja.

« Conduis-toi bien, conclut mon mari avec le plus grand sérieux : je te promets que d’ici six mois tu auras les moyens d’acheter une Persane et une Arabe. Tu pourras comparer leurs mérites respectifs.

In-ch’Allah ! » (S’il plaît à Dieu !)

Enfin, si le cheikh le veut, si l’imam djouma le permet, si le khan l’autorise, si les femmes d’Ousta Hassan le tolèrent, si les familles des femmes d’Ousta Hassan n’y font point d’opposition, les fouilles commenceront tôt ou tard.

6 mars. — Mahomet n’est pas notre concierge ! Nous avons neuf ouvriers ! Des soldats qui se rendaient de Dizfoul à Havizè passaient hier près du tumulus. Quatre d’entre eux, ayant appris que les deux guerriers mis à notre solde touchaient une paye de colonel, ont abandonné le fusil pour la pioche et sont venus ce matin réclamer des outils. Comme nos Cincinnatus avaient caché les plaques de cuivre des kolahs et des ceinturons, leurs seuls insignes militaires, nous avons pu les enrôler sans scrupule et leur remettre les armes pacifiques des terrassiers. Au reste, Marcel est tellement impatient, qu’il engagerait Satan et sa femme s’ils se présentaient.

7 mars. — La colonne de l’apadâna est déblayée. Elle s’appuie sur une énorme dalle carrée, engagée, comme ses voisines, dans une épaisse couche de gravier.