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RETOUR VERS LE PASSÉ.

au sommeil, ces braves garavouls (sentinelles) ont causé toute la nuit, suivant la coutume persane.

« Tu dors ! criait parfois le chef de la bande.

— Non, Agha.

— Eh bien, parle. Je serai certain que tu es bien éveillé. »

Malgré cette assurance, Marcel et moi sortîmes vers minuit pour inspecter les postes.

Un halo de pourpre rayonnait autour de la lune, des milliers de constellations luttaient d’éclat avec la pâle souveraine des nuits, tandis que de l’horizon jaillissaient d’incessants météores.

Tout était silence : les vents du sud-ouest, la petite feuille qui frissonne au souffle de l’air, la lyre magique dont les djins touchent les cordes, se taisaient ; le fil de la vierge était immobile ; l’esprit de la nature dormait.

À mes pieds gisaient les tumulus sans ombre, la plaine stérile, la tente de l’Arabe, nomade comme le vent du désert. Et mon imagination vagabonde s’envolait sur l’aile de la fantaisie jusqu’aux siècles où il me semblait avoir vécu une autre vie.

Je les voyais ces souverains dont la grandeur inspirait l’effroi ; ils se mouvaient solennels comme des statues d’ivoire, les muscles de leur face ne tressaillaient pas quand l’univers s’écrasait à leurs pieds.

Là-bas souriait la volupté. Sous l’or, les bijoux et le fard des femmes anxieuses se disputaient le regard du maître du monde.

Plus loin, toute une ville prosternée devant le temple d’une divinité humaine.

Aujourd’hui la loi des puissants n’est plus qu’un coup de tonnerre évanoui dans le passé, leur nom un éclair. Le froid impitoyable de la mort a raidi les bras des rois et des esclaves ; les vers ont fait leur pâture de la chair des orgueilleux et des humbles ; il n’y a pas un atome de cette terre foulée de nos pieds qui n’ait vécu et souffert.

Pas même des ruines ne sont restées debout pour raconter une mélancolique histoire ; l’oubli les ensevelit dans un linceul plus épais que les terres amoncelées sur elles. Le Temps fit entendre son chant de mort aux palais renversés, aux autels abattus, et, refermant ses sombres ailes, il plongea les siècles écoulés dans une impénétrable nuit.

Tout en rêvant, je pensais que les décrets du destin n’étaient pas sans appel : au-dessus de la montagne commençait à poindre le faible sourire du matin ; puis le soleil apparaissait, infatigable voyageur qui répand la lumière, développe la vie, fait croître les fleurs, les insectes et les arbres à leur saison et conserve sur la terre, si ce n’est parmi les hommes, les divines harmonies de la paix et de l’amour.