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ENTREVUE AVEC LES NOMADES.

masses confuses, de grandes ombres semblent sortir de terre et s’approchent au galop. Ce sont des buffles. Excités par leurs gardiens, ils chargent à une allure impétueuse ; mais, arrivés devant les bagages, disposés comme un rempart protecteur, ils s’écartent et démasquent une trentaine d’Arabes à mines de forbans. Les nouveaux venus nous trouvent installés derrière les caisses, la carabine à la main. Notre contenance les surprend, ils reculent.

« Pourquoi ne dormez-vous pas ? dit l’un d’eux.

— Pour mieux jouir de la fraîcheur de la nuit.

— Que tenez-vous à la main ?

— Un fusil, des pistolets.

— Vos armes sont chargées ?

— Pourquoi non ?

— Et ces caisses, que contiennent-elles ?

— Des pierres.

— Avez-vous de l’argent ?

— Non.

— Comment payerez-vous les belemchis (bateliers) ?

— Ils seront réglés à Amarah par le moutessarref (sous-préfet).

— Montrez-nous des pièces d’or faranguies ; nous vous les rendrons.

— Nous n’avons point d’or.

— Vous nous traitez en ennemis.

— Non : en inconnus. »

CHEF DE LA DOUANE TURQUE. (Voyez p. 188.)

Pendant ce colloque les bateliers se sont réveillés. Couper les amarres et s’enfuir, telles sont leurs premières pensées. Nous sommes seuls. J’oubliais le cuisinier, qui ne fait pas trop mauvaise figure, coiffé de sa marmite en guise de salade, sa broche à rôtir dans la main droite. Les nomades s’asseyent et causent à voix basse. Les mots de f’lous (argent), matli (fusil Martini), lebelber (revolver), qu’ils ont appris des soldats turcs d’Amarah, me prouvent qu’il s’agit toujours de nous.

Ont-ils supposé que les caisses d’argent et les objets précieux étaient demeurés dans les bateaux ? ont-ils craint les balles ? Ils se sont éloignés ! Cette entrevue désagréable avait duré une heure environ, mais une heure composée de minutes d’une longueur exceptionnelle. Les belemchis rechargèrent les bagages avec une