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À SUSE.

plateau constitue le territoire d’Obock. Il fut acquis des chefs indigènes en 1862, par le commandant Fleuriot de Langle, et payé dix mille thalaris (cinquante mille francs). Sa superficie est de vingt-cinq lieues carrées.

En promenant ma lorgnette sur la côte, je distingue la tour Soleillet, quelques arbres noueux, une dépression verdie par de chétifs palétuviers, le lit d’un torrent desséché, la maison de la Compagnie concessionnaire des dépôts de charbon, un hôpital inachevé et, à quelques milles de là, un amoncellement de houille exposé au grand air.

Le port est compris entre une double ligne de récifs, partant, l’une du cap Ras-Bir, l’autre du cap Obock. Un banc de corail placé au sud-est de la baie le divise en deux bassins, réunis par un canal qui s’étend entre les récifs et la tête du banc. Les mouillages, bien abrités, sauf des grosses mers du nord-est, seraient excellents, n’était le chenal sinueux et encombré d’écueils.

Le Tonkin s’avance prudemment dans la direction des bouées, auprès desquelles est mouillé le Brandon, stationnaire de la colonie — heureux stationnaire, — et jette l’ancre à plus d’un mille de terre. À part un minuscule vapeur de l’État, le Pingouin, un chaland chargé de charbon et deux ou trois barques indigènes qui ne jaugent pas quatre tonnes chacune, je ne vois navire qui vive dans cet étrange port de mer.

Cependant le Tonkin fait des signaux ; le sémaphore de la tour Soleillet lui répond avec une sage lenteur. Quelques indigènes, dont la peau noire paraît être le plus élégant vêtement, courent vers la plage, entrent dans la mer et accostent le chaland de charbon. À la suite des noirs, arrivent, plus solennels, trois hommes blancs, tout de blanc habillés. Les Européens se déchaussent, retroussent leurs pantalons et barbotent pendant vingt minutes avant d’atteindre de petites embarcations calant deux pieds, mais encore trop creuses pour se rapprocher du rivage.

Avec les chalands de charbon et les autorités constituées d’Obock viennent des pêcheurs. L’un d’eux consent à nous transporter aussi près de terre que possible. La plupart des passagers du Tonkin veulent abandonner la cartouche qui, depuis le départ de Toulon, nous sert de domicile. Un bain n’épouvante personne. Enfin on s’organise par séries. Marcel et moi prenons la tête du convoi. Ya Allah ! il s’en faut de cinq centimètres que l’eau n’atteigne le niveau des bordages ; aussi l’embarcation échoue-t-elle fort loin de la plage. L’ombrelle ouverte, les chaussures sur l’épaule, mes compagnons sautent gaiement à l’eau. Au moment de suivre leur exemple, j’hésite : j’ai dû vivre jadis dans la peau de Raminagrobis. Peut-être même ai-je été parente de Sekhet, la déesse égyptienne à tête de chat, car elle a pitié de ma détresse et me dépêche un noir triton. Grimpons sur les épaules de la providence ; c’est le seul moyen d’atteindre la côte à pied sec. Je m’accroche