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BOUCHYR.

charge de gouverneur de Bouchyr. Depuis lors ce sont chaque jour honneurs inespérés. Dans l’espace de six mois le Malek a atteint le faîte de la hiérarchie civile et militaire : croix, rubans, plaques, médailles surchargent son cou, constellent sa poitrine, et le prince royal rêve encore d’un ordre nouveau pour son sujet favori.

« Eutrapèle, aussitôt qu’il voulait nuire à quelque imbécile, l’affublait des plus riches habits, et voici son dangereux dilemme : « En se voyant si bien vêtu, mon drôle endosse aussitôt, avec l’habit des maîtres du monde, leur ambition et leur vanité ! Monsieur dormira jusqu’à midi. Monsieur, dédaigneux de l’honnête emploi qui le fait vivre, ira sur les brisées galantes des petits-maîtres, dévoré par l’usure, et puis, un beau jour, nous prendrons tout doucement le glaive du gladiateur ou le licou du maraîcher. »

Horace avait vu juste.

Bouffi d’orgueil, le malekè toudjar répondit par des présents princiers à chaque faveur nouvelle. Tant plus sa poitrine s’étoilait, tant plus les vieux bas paternels se vidaient. En a-t-il vu le fond ? Je le crains. Si quelques milliers de tomans se cachent encore dans un pli, ils s’envoleront bientôt, car, aux anciens titres du Malek, le roi de son côté vient de joindre celui de grand amiral, avec la charge de subvenir à l’entretien du Persépolis.

Qu’est-ce que le Persépolis ?

Un aviso.

J’ai frotté mes yeux quand j’ai vu flotter le lion et le soleil à l’arrière d’un vaisseau ancré dans la baie ; mais je me suis rendue à l’évidence. Oui, Sa Majesté possède un aviso armé de canons et pouvant naviguer… avec du charbon.

Depuis quelques années le madakhel (malversation administrative) était dans le marasme. On avait extorqué au roi, sous les prétextes les plus divers et les mieux justifiés, — usine à gaz, lumière électrique, casques en cuir bouilli pour l’armée, grande route de Kazvîn, fabrique de bougies, — un certain nombre de millions, et Nasr ed-din se montrait circonspect. Toujours l’histoire du guillotiné par persuasion.

Quelques esprits inventifs décidèrent pourtant Sa Majesté à devenir le chef d’une puissance maritime : le règne de l’Angleterre avait assez duré. Mal instruit par les insuccès de ses précédentes tentatives, le souverain commanda une flotte. Pourquoi l’aviso et la petite chaloupe qui la composent furent-ils construits à Hambourg ? Mystère et discrétion. Le Chah n’avait pas, j’imagine, la pensée de faire sa cour au roi de Prusse. J’aime mieux croire que les mandataires de Sa Majesté trouvèrent dans les chantiers de l’Elbe des complaisances que n’auraient pas eues les maisons françaises ou anglaises.