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À SUSE.

turbans, tout en fumant le narghileh dans les cafés de Bassorah. Vont-ils nous débarrasser des barbes rouges ? »

Tels ne sauraient être les desseins de pacifiques archéologues. Nos pensées sont concentrées sur Darius et Xerxès ; notre diplomatie s’emploiera à faire des grands rois les fidèles alliés de la France. Ce sont là des menées souterraines qui, je l’espère, ne troubleront pas la paix du monde.

20 novembre. Amarah. — Un bateau s’apprêtait à remonter le Tigre jusqu’à Bagdad ; il fallait dire adieu à nos compatriotes et gagner cette petite ville d’Amarah où nous éprouvâmes, il y a cinq mois, une si cruelle déception.

Divers motifs ont engagé mon mari à suivre, une troisième fois, un itinéraire si difficile. Il désire rester autant que possible en communication avec la légation de France ; il veut cependant marcher de l’avant et se porter sur le point de la frontière persane le plus rapproché du tombeau de Daniel, afin d’indiquer ses intentions et d’imposer une réponse qu’on lui ferait peut-être attendre assez longtemps pour rendre impossible la reprise des travaux. Cette solution probable des difficultés pendantes doit être prévue et déjouée. Quoi qu’il advienne, nous partirons pour Suse avant la fin du mois. Le lion à la jaune crinière m’a donné rendez-vous ; il m’attend ; je tiendrai la parole que je donnai l’été dernier au roi des animaux.

Dès l’arrivée nous avons couru aux informations. Un soleil de feu a brûlé le hor, mais les premières pluies d’hiver vont alimenter les marais desséchés. Les caravanes de Dizfoul, dont le trafic est interrompu depuis six mois faute d’eau pour abreuver bêtes et gens le long du chemin, s’ébranleront bientôt et amèneront à Amarah les muletiers trop heureux de trouver un chargement de retour. La mission atteindra ainsi sans tambour ni musique les domaines du prophète.

En attendant cet heureux jour, nous avons tout le loisir de revoir les sites et les gens d’Amarah.

Le chef des douaniers, ma bête noire, est devenu un ami fidèle. J’ai trouvé le digne homme fort maigri : il paraissait avoir supporté de grandes privations et un jeûne trop rigoureux. Peu après notre départ, cette perle rare, ce bijou de fonctionnaire fut convaincu de vol, arrêté, emprisonné et enchaîné. Depuis une quinzaine de jours il respire de nouveau l’air pur de la liberté, mais ce délai n’a pas suffi pour faire refleurir sur ses joues les roses étiolées à l’ombre humide des cachots.

Poussé par le vieil homme, il a sauté, dès notre débarquement, sur un ballot de tapis que MM. Babin et Houssay avaient acquis pendant leur voyage ; réflexion faite, il s’est montré bon diable et n’a exigé, en retour de son obligeance, qu’une lorgnette de spectacle et la photographie de sa malhonnête figure.