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AMARAH.

Vivent les fonctionnaires qui sortent de prison ! ils sont accoutumés aux privations et savent se contenter de peu.

26 novembre. — Amarah a l’heur de nous posséder depuis une grande semaine. De hautes murailles entourent l’étroite cour de notre maison ; c’est à se croire tombé dans la fosse aux ours.

Les journées paraissent d’une longueur inusitée, la vie d’une monotonie désespérante.

À notre arrivée, le soleil brûlait encore de ses rayons de feu les jaunes plaines de Chaldée. Nous attendions le soir pour suivre l’étroit sentier qui longe la rive gauche du Tigre. Cette terre plate, condamnée par la nonchalance de ses habitants à une triste stérilité, revêtait alors une incomparable parure. Le fleuve coulait lent, doré comme le ciel qui se réfléchissait sur les ondes tranquilles ; on n’eût pas distingué les eaux de l’atmosphère infinie sans les embarcations apparaissant inattendues au coude du fleuve, sans les panaches des vapeurs qui s’approchaient du port.

Puis les plis vermeils du grand manteau endossé le soir par la nature frileuse prenaient des tons plus intenses et se perdaient dans une gamme violente ; à mesure que le soleil lançait des rayons plus obliques, la transition s’accentuait. Les perles de Golconde se mêlaient aux saphirs d’un bleu céleste, à la jaune topaze, à l’escarboucle flamboyante, à la belle émeraude, arc-en-ciel descendu de l’Olympe pour compléter la parure de la nuit prête à franchir le seuil de ses palais. Un brusque changement atmosphérique nous interdit désormais la promenade.

En moins d’une demi-semaine nous avons été transportés des régions vouées à l’implacable été dans une terre sombre et brumeuse. Le ciel, abaissé, se fond en pluie ininterrompue. Phébus, anémié, lutte avec les brouillards qui agrandissent son énorme face. La ville est transformée en cloaque ; on ne saurait s’aventurer hors de la maison sans enfoncer jusqu’aux genoux dans une fange fétide.

Causer avec une vieille mendiante installée sur le pas de la porte, suivre du regard les remous du fleuve, observer les tortues endormies au pied des berges, atteindre un jardin planté de beaux palmiers, sont désormais nos seules distractions.

Et pourtant, nous bénissons l’arrivée de la saison hivernale ! la plaine de Suse va se rassasier d’eau, les caravanes apporteront aux négociants de Bagdad indigo, laines et tapis. Notre délivrance approche. Anne, ma sœur Anne, interroge le chemin du télégraphe ! Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? « Téhéran se tait. »

27 novembre. — Allah Kérim ! la maison est pleine de Dizfoulis. Ils nous eussent lapidés l’année dernière : ils nous traitent aujourd’hui comme un quatuor de Messies. À peine la caravane persane entrait-elle au bazar, qu’on lui annonçait