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À SUSE.

une habitation stable. Seule la ligne télégraphique contraste, par les pensées que sa présence éveille, avec la solitude de ce désert. De distance en distance, cinq ou six poteaux renversés sur le sol laissent traîner leurs isolateurs dans la poussière. Les communications entre Amarah et Hamadan se font d’autant mieux.

Ces accidents sont le fait des innombrables animaux promenés dans la plaine par les pâtres de M’sban ; nous avons pu le constater. Un chameau vigoureux, devançant un troupeau de plus de cent bêtes, s’approche d’un poteau, frotte sa grosse épaule et son cou, peuplés de parasites, contre le bois desséché, et le secoue si bien qu’il l’abat. Au bruit des isolateurs se brisant sur le sol, l’animal prend peur ; il veut fuir ; il s’empêtre dans les fils, tire violemment pour se dégager, occasionne ainsi la chute d’une série de supports, et quand, tout affolé, il a reconquis la liberté, ses compagnons — les chameaux se suivent comme des moutons — accourent et commettent de nouveaux dégâts, malgré les efforts des gardiens, impuissants à modérer leur course.

Au pied de cette ligne, témoignage de la civilisation humaine élevée à son apogée, court un humble sentier ; il est l’œuvre des animaux et des piétons, toujours en mouvement entre Amarah et Nahar Çaat, campement actuel de la tribu.

À deux heures de la ville le télégraphe et le sentier divorcent : l’un continue sa course en ligne droite, l’autre prend à gauche. Quelques traces de culture se montrent sous la forme de minces sillons, et bientôt apparaît, dressé sur un point culminant, un énorme campement symétriquement disposé, séparé en deux parties par un ancien canal desséché dont le lit sert de grand’route.

La tente du cheikh domine ses voisines ; elle est entourée d’une enceinte rectangulaire formée d’épaisses broussailles et rappelle, dans de plus vastes proportions, la demeure de Kérim Khan. Le mobilier du cheikh n’est pas plus luxueux que « celui de mon cher oncle » : les richesses d’un nomade se mesurant à ses troupeaux, tout meuble, tout objet d’un transport difficile constitue une gêne, un embarras.

Lazem, fils aîné du cheikh, nous introduit sous la tente paternelle. Le sol, mal nivelé, se montre partout à découvert. Pauvres gens ! ils ne peuvent même pas se procurer ces nattes que l’on trouve dans les maisons les plus misérables. Cependant un mauvais tapis est étendu dans l’angle le mieux abrité de l’air, souverain maître de céans. Sur ce tapis s’empilent des couvertures, d’énormes oreillers calant un grand vieillard à barbe blanche, au nez crochu, qui tousse, crache, souffle, se mouche du bout des doigts et lance, sans souci des voisins, les reliques de son nez et de sa bouche. La robe du cheikh, de M’sban en personne, est sale, déchirée, sordide, comme celle d’un gueux. Qui soupçonnerait sous ces haillons l’homme