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ARRIVÉE D’UNE CARAVANE DIZFOULIE.

prié de faire lever l’interdit mis par la légation, d’accord avec le gouvernement persan, sur notre expédition en Susiane. Les jours perdus sont si précieux ! Un dernier retard quadruplerait les difficultés à vaincre pour atteindre le tombeau de Daniel. Dans un désert sans route, les voyages ne sont possibles que durant un laps de temps fort court. Depuis six mois les caravanes ne pouvaient, faute d’eau, circuler entre Dizfoul et Amarah : viennent des pluies abondantes et nous nous heurterons à des rivières hivernales infranchissables, à la terrible Kerkha, si large et si rapide. Je sais bien que la détresse des naufragés laisse souriants les puissants personnages que leur grandeur attache au rivage !

Admettons d’autre part que le Chah, sans autorité dans cette province éloignée, abandonne à leur étoile les envoyés d’une nation amie, et que notre vie soit l’enjeu de l’entreprise ; encore vaudrait-il mieux la risquer d’une manière opportune. Nul n’est plus intéressé que nous dans cette question, et nul, je puis l’affirmer, ne la connaît mieux.

Si mon mari, en sa qualité de chef de mission, ne craignait d’assumer une trop lourde responsabilité ; si, comme il y a quatre ans, nous venions seuls à Suse, nous camperions déjà sur les tumulus ; la pioche retentissante et la pelle active auraient repris leur œuvre révélatrice.

28 novembre. — Les Dizfoulis sont prêts à bien accueillir la mission ; la traversée du désert n’en reste pas moins une opération périlleuse. La plaine située entre le Tigre et la Kerkha est la patrie d’option de nomades intraitables. La caravane persane a dû, pour échapper au pillage, satisfaire les exigences des Beni-Laam. Marcel est fort préoccupé du sort de ses krans. À qui aurait-il recours si les Arabes, instruits du contenu de nos cantines, nous attaquaient en masse et s’emparaient du convoi ? Faudrait-il demander justice au Commandeur des Croyants ou au Chahîn-Chah ? L’un et l’autre sont bafoués en ce pays.

Soucieux de prévenir un événement dont les conséquences pourraient être si graves, mon mari s’est décidé à aller voir M’sban, chef suprême des Beni-Laam, campé non loin d’Amarah.

La nouvelle de nos bonnes relations avec ce grand personnage volera au-devant de nous et assurera à nos finances le respect qu’elles méritent.

30 novembre. — Montés sur les chevaux loués aux Dizfoulis, nous nous dirigeâmes vers les tentes de M’sban. Au delà du canal qui forme vers le nord la limite de la ville se présente une plaine inculte, où poussent, dès les premières pluies, des herbes rares que dessèchent en mars les précoces ardeurs du soleil. À l’extrême horizon, la chaîne des Bakhthyaris porte avec fierté sa virginale couronne de neiges ; mais, dans l’immense contrée qui s’étend des rives du Tigre aux premiers soulèvements, l’œil le plus exercé ne saurait découvrir un arbre ou