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LA TRIBU DES BENI-LAAM.

m’étouffez ! » s’écrie-t-il en écartant les cavaliers chargés de le soutenir. Et, d’un seul galop, il franchit la distance qui le sépare de son campement.

Depuis lors M’sban a toujours évité de revoir Amarah. Lorsque le moutessarref le menace d’augmenter l’impôt : « Libre à vous, répond-il ; je suis vieux ; choisissez un autre cheikh plus habile. »

Le gouverneur se garderait d’entrer dans cette voie : quel homme en son bon sens oserait affronter la colère de M’sban ou de ses héritiers ? Il ne verrait pas briller demain le soleil qui s’efface ce soir.

Pourtant les tribus ont vécu leurs beaux jours. Jadis Amarah n’existait pas ; la contrée, dévolue aux nomades, était préservée de toute incursion étrangère par le hor infranchissable ; cinq cents livres turques satisfaisaient le valy de Bagdad ; mais, depuis l’arrivée des exécrables bonnets rouges, l’ouverture d’un service de bateaux à vapeur et l’installation du télégraphe diabolique, la nourriture du cheikh des Beni-Laam n’est plus qu’un horrible mélange d’épines et de venin de serpent.

À la vue des casques blancs, M’sban se lève, esquisse entre deux quintes de toux un salut bienveillant, et, par l’intermédiaire d’un interprète turc, souhaite la bienvenue à ses hôtes. Puis il se rassied et s’informe des titres et qualités de chacun de nous. À mon tour :

« Vraiment, c’est Khanoum ! J’ai beaucoup entendu parler d’elle l’été dernier. Je suis content de la voir. M’apporte-t-elle un cadeau ? Je reçus il y a quelques années la visite d’une grande dame du Faranguistan[1] qui me laissa un superbe présent.

— Y pensez-vous ! Khanoum ne saurait déroger, répond imperturbablement notre guide Naoum Effendi. Ces Français sont gens de grande science, des mollahs fort connus dans leur pays. Votre renommée, votre réputation de chef puissant et de justicier intègre les ont engagés à vous rendre visite, mais… vous devez considérer cette démarche comme un honneur insigne.

— J’espère que mes hôtes voudront bien passer la nuit sous ma tente et accepter le pilau arabe. Ont-ils des remèdes ?

— L’un d’eux est médecin.

— Que le ciel le protège et m’accorde de sa main une prompte guérison ! Qu’il s’approche. »

M. Houssay, reprenant possession de ses fonctions de hakim bachy, quitte notre tapis pour celui de M’sban, applique avec courage une oreille solennelle contre les guenilles de son client, et entreprend un long interrogatoire. M’sban est âgé de plus de quatre-vingts ans ; malgré l’apparente vigueur de son grand corps couronné[Pg 226] d’une tête encore puissante, il n’a point échappé

  1. Lady Anne Blunt.