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À SUSE.

d’une tête encore puissante, il n’a point échappé au catarrhe des vieillards. Quelques tisanes composent l’ordonnance.

« De l’eau chaude, le beau remède ! D’ailleurs tousser, cracher, n’est point ce qui me peine ! »

Et s’animant, les yeux clairs, le geste rapide, il demande, il ordonne qu’on lui rende… la vie et la jeunesse. Faust a regardé Marguerite ; il est en quête d’un Méphistophélès.

La vie des peuples pasteurs s’écoule dans des rives si uniformes, les années amènent avec elles si peu d’incidents nouveaux, le nomade, à part quelques envolées vers les sphères infinies, est si mal préparé aux nobles élans de l’âme, qu’une femme et un beau cheval, instruments d’amour et de guerre, résument son ambition et ses désirs. Ni l’âge ni la maladie n’éteignent l’ardeur qui brûle non le cœur, mais le corps de l’Arabe.

Ne cherchez point sous ces tentes brunes une belle aux blondes tresses, en robe blanche et l’aumônière au côté ; on n’effeuille pas les fleurs au désert de Chaldée, on n’y file point au rouet, nul n’y connaît la chanson du roi de Thulé ; on va droit au but. Si la fillette aux quatorze printemps qui tente les yeux du vieux cheikh songe un jour à se faire entendre des nuages qui passent et des oiseaux étonnés, elle dira peut-être comme la fiancée du Cantique des Cantiques : « Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédron, comme les pavillons de Salomon. Ne me dédaignez pas : si je suis un peu noire, c’est que le soleil m’a brûlée. »

Mais elle ne trouvera pas un amoureux qui lui réponde : « Oui, tu es belle, mon amie ; oui, tu es belle ! Tes yeux sont des yeux de colombe sous les plis de ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues au flanc de Galaad. Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui sortent du bain. Tes lèvres sont comme un fil de pourpre et ta bouche est charmante. Ta joue est comme une moitié de grenade sous les plis de ton voile ! »

Ce sont là jeux de poètes raffinés, de poètes comme il s’en trouve en germe chez les contemplateurs de l’infini, mais dont la tête seule travaille sans que le cœur s’engage jamais.

« Gardez-vous de montrer le moindre objet capable de tenter la cupidité du cheikh, avait dit Naoum Effendi avant de pénétrer dans le campement de Nahar Çaat : il vous le demanderait avec une insistance d’enfant mal élevé, et, si vous répondiez à ses désirs, il ne me gratifierait même pas d’une étrenne, tant il est avare. »

Ce conseil prudent, la tenue sordide du vieillard, l’installation mesquine