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LE JEU DES MOUCHES.

intellectuel, ni fatigue corporelle, ni matériel compliqué. Voici la recette. Inutile de l’importer au pôle Nord.

En été, étendez un tapis sous un konar touffu, asseyez-vous confortablement vis-à-vis de votre partenaire, que chacun de vous jette un kran d’argent devant lui.

Bientôt une mouche, dix mouches, un nuage de mouches, s’approchent en sifflant. Les voilà d’abord posées sur le nez, sur la barbe. Ces prémices d’une prochaine victoire doivent faire supporter sans colère ces familiarités ; le moindre mouvement éloignerait les insectes et les pousserait dans la direction de votre adversaire. Patientez et laissez-vous dévorer.

Rassasiée, mais toujours curieuse, la mouche, installée sur le promontoire qui vous sert de nez, examine la plaine. Soudain elle aperçoit les pièces d’argent et demeure immobile, étonnée.

« Serait-ce l’image de la lune en plein jour ? Un ver luisant aurait-il égaré sa montre et allumé trop tôt son fanal ? dit-elle en son étroite cervelle. Vite, courons aux renseignements. Demain je publierai la nouvelle dans la gazette des diptères ! Un coup de patte à la lune oublieuse de ses devoirs, une volée de bois vert au lampyre qui scandalise l’univers par ses promenades au grand soleil ! Voici matière à un article retentissant. Quelle joie vont éprouver mes abonnées ! D’ailleurs, quand il s’agit de les satisfaire, rien ne saurait me rebuter. Je ne puis, comme l’araignée, tisser de longues trames, mais je cours, je trotte, je vole, j’interroge ; tout m’est bon : serviteurs, portiers et balayeurs, pour avoir des renseignements exacts.

« Au demeurant bonne princesse et vertueuse, je défends avec une ardeur sans égale la morale, dont j’ai ouï parler dans mon jeune âge, et me contente de peler doucement les égarés, laissant aux grosses volucelles les plus vilaines besognes du métier de mouche. En route. »

L’insecte s’envole. Il hésite. Sur lequel des deux krans se posera-t-il ? Surveillez-le, ne le perdez pas de vue, l’instant est solennel. Ze,… ze,… ze… Il a jeté son dévolu ! À vous la victoire, avec l’enjeu de votre adversaire !

Quant à la mouche, elle reste confondue… Pas le moindre rayon de lune sur le tapis, pas même un pauvre petit ver de terre, mais un métal dur, insensible, bon tout au plus à user ses pattes.

Croirait-on que le jeu des mouches, livré en apparence aux fantaisies de l’être le plus insupportable de la création, donne encore lieu à des tricheries ? L’un des joueurs enduira sa pièce d’un sirop parfumé ; l’autre posera la sienne auprès d’une tache graisseuse à peu près invisible, mais dont l’odeur attirera les insectes à jeun. Machiavéliques adeptes du whist ou de l’écarté, soyez modestes : vous seriez battus au magazèbaz.

Mais voici nos larbins de retour. Un Arabe les accompagne ; ses traits ne me