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À SUSE.

raisonnements des philosophes, les théories d’école, les écrits des penseurs ou des théologiens. Éloignez-vous plutôt de vos semblables, oubliez-les, afin que l’œuvre divine ne vous apparaisse point amoindrie, venez vivre dans la solitude de la montagne, dans les plaines désertes. L’admirable beauté de la nature, sa majestueuse éloquence parleront mieux à votre âme que les affirmations des uns, que les négations des autres.

« Parmi ces hardis faucons, les uns ont les yeux cousus, les autres les yeux ouverts, mais ils se brûlent les ailes. Nul n’a pénétré jusqu’au trésor de Karoun, ou si quelqu’un est arrivé jusque-là, on ne l’a plus revu. »

Derniers adieux du cheikh des Beni-Laam :

« Le mulet qui portait vos couvertures s’est entravé malencontreusement cette nuit ; je vais vous prêter une autre bête.

— Merci.

— Auparavant donnez-moi deux krans pour sa location.

— Mahmoud, deux krans au cheikh.

— Sont-ils en bon argent ? Ta bourse est ronde, petit cuisinier : ajoute encore deux krans pour le conducteur…, puis… deux krans pour la journée de retour de la bête,… deux krans pour la journée de retour du conducteur,… deux krans pour le bakhchich de l’homme et de la bête. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Le compte y est. »

Ce n’est pas payer trop cher le mulet d’un homme qui possède une fortune de vingt millions et touche, indépendamment du malyat ou capitation d’un kran payée par toute barbe poussant sur un menton beni-laam, le ouady, contribution deux fois plus lourde, destinée à parer aux frais éventuels de guerre et, en cas de meurtre, aux indemnités exigées par les tribus voisines.

1er décembre. — « Monsieur ! monsieur ! s’écrie le charpentier Jean-Marie, gardien fidèle du trésor, les dépêches que vous attendiez avec tant d’impatience sont arrivées peu d’instants après votre départ pour Nahar Çaat. »

Le léger escalier gémit et s’ébranle, la terrasse tremble ; pleins d’impatience, nous nous élançons à l’assaut des nouvelles. « De Suse les chemins sont ouverts ! » disent, sous une forme à peu près identique, deux télégrammes signés du docteur Tholozan et de M. de Balloy, ministre de France à Téhéran. Enfin !…

« Mahmoud, Abdallah, Reza, alerte, courez ! Des chameaux, des mulets ! Nous partons demain. Comment, drôles, vous jouez encore aux mouches ? »

Cette avalanche de paroles, si peu en harmonie avec le laconisme de leur maître, galvanise nos trois serviteurs ; quittant la partie engagée, ils s’envolent à tire-d’aile vers le bazar.

Le jeu des mouches est fort goûté des Persans ; il ne demande ni effort