Page:Susejournaldes00dieu.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
MENCHET.

sur une plaque rougie et s’écrasent à notre intention dans le mortier de fer ; Menchet prépare de ses nobles mains un café délicieux. Ces premiers devoirs remplis, notre hôte nous fait subir l’invariable interrogatoire :

« Comment t’appelles-tu ? D’où viens-tu ? Où vas-tu ? Quelle est ta religion ? Combien as-tu d’enfants ? Combien as-tu de femmes ? Dans ton pays vis-tu sous la tente ? Avais-tu déjà vu des chevaux et des moutons ? Les buffles sont-ils aussi beaux chez toi que dans l’Arabistan ? Que portes-tu dans ces malles noires ? (Nos cantines !) Pourquoi sont-elles si lourdes ?

— Elles sont pleines de cartouches. »

La curiosité de Menchet paraît satisfaite. Marcel demande l’autorisation de visiter le campement. Sacoches, selles, petites caisses empilées dans un angle de la tente sont confiées à la garde de Jean-Marie. Le fusil sur l’épaule, nous sortons. Plus de cent tentes s’alignent de chaque côté d’une large rue. Hommes, femmes, enfants, vêtus de beaux abas de laine brune, sont nonchalamment accroupis sur des tapis gris égayés de pompons et de longues franges aux vives couleurs. Ici on abat un jeune buffle pour le repas du soir, là on dépouille de leur peau laineuse des moutons chargés de graisse ; sous chaque toit murmure la marmite à pilau. Cette tribu de voleurs brevetés ne sème pas un grain de riz, ne récolte pas un épi de blé : aussi vit-elle dans une abondance inconnue des nomades plus laborieux. Je dois ajouter qu’elle paraît jouir sans remords du produit de ses razzias. Les Arabes ont sur l’honneur des idées que ne renieraient pas certains Occidentaux : la violence et la conquête justifient toujours la possession.

À la nuit nous rentrions chez le cheikh en même temps que deux hommes entravés dans une chaîne de fer.

« Quel est le crime de ces malheureux ? ai-je demandé à Menchet qui, d’un signe, avait invité les prisonniers à s’asseoir auprès du feu.

— Ils ont tué trois pèlerins persans. Sur la demande du gouverneur de Dizfoul, je leur ai infligé deux mois de chaîne. Ils se promènent le jour et regagnent les tentes dès le coucher du soleil.

— Le Koran ne recommande-t-il pas de châtier les assassins ?

— D’accord ; mais pourquoi les Persans se sont-ils défendus ? Et puis, qu’aurais-je gagné à tuer des gens aussi pauvres ? »

Ah ! le grand justicier que Menchet !

Peu habitué aux mœurs du pays, Jean-Marie s’éloigne instinctivement de ses deux voisins.

« Ils n’ont pas plus mauvaise figure que le cheikh, lui ai-je dit.

— Oh ! madame, a repris notre brave Toulonnais, nous sommes tombés dans