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À SUSE.

bleraient parents des chèvres leurs voisines, s’ils n’avaient le poil ras et la queue développée.

La population du village se précipite vers nous. J’avais médit des indigènes. Les hommes entourent d’un pagne le bas des reins ; quelques élégants ajoutent à cette draperie élémentaire une toge de calicot blanc. Les femmes plus couvertes que leurs maris, s’enroulent dans des étoffes de laine qui laissent épaules et bras nus. La tête, protégée par une toison que les coquettes s’efforcent de natter, est surmontée d’un paquet de cotonnade plié en forme de chaperon plus ou moins fantaisiste. Des bracelets d’argent, des colliers de verroterie complètent la toilette. Je n’insisterai pas sur le costume des enfants : il se réduit à une amulette attachée autour du cou.

Les Danakils sont noirs de peau, bien constitués, mais grêles de formes. Chasseurs adroits, pêcheurs habiles, coureurs rapides, ils joignent à ces qualités une cruauté et une fourberie dont ils se vantent tout les premiers. Frapper un ennemi par derrière est digne d’éloge ; le massacrer, un titre de gloire. La mort d’un adversaire vulgaire donne le droit de porter une année durant la plume noire plantée dans la chevelure ; une plume blanche, valable dix ans, est octroyée au vainqueur d’un lion ou d’un Européen. Il est flatteur pour l’Européen d’être traité avec autant de considération que le roi des animaux. La manchette de métal, le bouton d’ivoire au lobe de l’oreille signalent à l’admiration générale les meurtriers les plus éminents.

Ces mœurs sanguinaires s’harmonisent si bien avec le caractère de la race, qu’un homme ne saurait trouver femme s’il n’a prouvé sa valeur par l’assassinat de l’un de ses semblables. Les familles prévoyantes achètent même de vieux nègres affaiblis et les livrent à leurs enfants en bas âge ; les chers bébés peuvent ainsi conquérir la plume noire et satisfaire sans danger à la loi cruelle de la tribu.

Leur assimilation avec les lions rend les trois Européens d’Obock fort circonspects. L’année dernière ils n’osaient parcourir la distance de quarante mètres qui sépare leurs maisons. Un des plus vieux colons, M. Arnous, dont les Danakils prétendaient avoir à se plaindre, n’avait-il pas été frappé sur le seuil même de la factorerie ? Aujourd’hui encore, Obock offre si peu de sécurité, que le gouverneur va coucher tous les soirs à bord du Pingouin, tandis que le corps de garde lève le pont-levis dès la tombée de la nuit et se barricade de son mieux.

Gravissons la falaise formée de dépôts madréporiques ; pénétrons dans la factorerie.

Deux corps de logis sont adossés aux murs d’enceinte : l’un réservé à l’habitation du gouverneur, l’autre au casernement de vingt hommes, commandés par un sergent.

Poussons plus avant. Près de la concession Ménier, on me fait admirer l’empla-