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LA CARAVANE PRISONNIÈRE.

deux chandelles et engagé des parties de dominos, qui nous ont tenus éveillés fort avant dans la nuit. Vers une heure, les mèches s’allongeaient fumeuses, quand la tente s’ouvrit brusquement sans que les chiens eussent aboyé. Trois coups de feu retentissent derrière la muraille d’étoffe. Nous sautons sur nos armes. Menchet se précipite le visage effaré :

« Les brigands sont là ! Prêtez-moi vos fusils.

— Non.

— Venez au moins à notre secours et marchez vous-même sur la trace des maraudeurs !

— Nous ne sortirons pas de la tente avant le jour. »

C’était un piège. Renonçant à nous tromper, Menchet se retire furieux ; la nuit s’achève sans incident.

Au matin, nouvelle antienne. Attar est arrivé, mais le nombre des bêtes, si disproportionné avec les charges, a diminué. Un chameau s’est cassé la jambe, on a dû l’abandonner ; un mulet suit la caravane sur trois pattes, incapable de porter son bât. Informé de ce désastre, Menchet se présente la bouche en cœur :

« Vous ne pouvez continuer votre voyage sans bêtes de somme : je vais vous prêter des mulets excellents, et mon fils vous servira de guide.

— Je veux bien louer tes mulets, mais un guide m’est inutile, a répondu Marcel ; je te montrerais le chemin de Suse.

— Peu importe, Fellahyé vous accompagnera : sa présence assurera votre sécurité. Que lui donnerez-vous ?

— Cinq krans et ma bénédiction.

— Un demi-toman ! perdez-vous la tête ? vous moquez-vous de moi ? Je ne vous tiens pas quitte à moins de cent cinquante krans ; demain j’exigerai le double, après-demain trois fois autant ; s’il vous plaît de passer l’hiver ici ou de me céder vos bagages, libre à vous.

— Prends garde ! Avant de menacer, lis cette lettre de M’sban adressée à tous les cheikhs Beni-Laam.

— M’sban, M’sban ! Me fera-t-il grâce d’un chaï quand il enverra réclamer le malyat (impôt des barbes) ? »

Et Menchet s’est retiré fort perplexe.

Dix minutes plus tard se présente Mahmoud :

« Saheb, pendant mon sommeil on m’a volé le sac de riz ; la boîte à thé est pleine de cendres ; j’ai vainement cherché un mouton, des poulets gras ou maigres : pas un Arabe n’ose désobéir au cheikh, qui a défendu de vous rien vendre. Que faire ? que devenir ? Allah Kérim, nous sommes morts !