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À SUSE.

Il restait des dattes et du pain mouillé, nous avons dû nous contenter de ce maigre régal.

Vers midi arrive un cheikh du voisinage de plus honnête figure que ses pareils.

« Les Faranguis sont encore chez toi ?

— Apparemment, » répond Menchet.

Puis les deux compères ont causé à voix basse. Quelques mots saisis au vol m’ont appris que le nouveau venu conseillait à son collègue de ne pas s’engager dans une méchante affaire. La crainte de M’sban est le commencement de la sagesse.

« Sais-tu ce qu’ils m’offrent, ces misérables, ces voleurs ? répondait Menchet enflammé d’un noble courroux. Cinq krans ! Entends-tu, cinq krans ! Et ils sont cinq, et ils ont quatre fusils et plus de trente charges ! Cinq krans !… »

Tous deux ont quitté la tente et se sont éloignés afin de causer plus librement.

Au même instant retentissait un joyeux bruit de grelots ; un vieux mollah et quelques Persans montés sur des mules vigoureuses apparaissaient, hâtant le pas, timides comme roitelets condamnés à défiler devant les griffes du vautour. Les Dizfoulis nous aperçoivent : « Les Faranguis sont là ! s’écrient-ils, échos inconscients du visiteur précédent ; mettons-nous sous leur protection, nous ferons route ensemble. »

Les nouveaux venus sont les Kerbelaïs, c’est-à-dire qu’ils viennent de Kerbela, où ils sont allés prier sur le tombeau du fils d’Ali. Jamais je n’aperçus pèlerins plus gâteux, plus cacochymes ; jamais je ne vis plus piteuses victimes de l’âpreté des prêtres musulmans. Nous les avons néanmoins accueillis avec égards : la Providence est toujours belle, même sous la forme d’un Kerbelaï déguenillé ! Désormais les pèlerins feront route à pied, tandis que leurs bêtes, louées pour notre compte, emporteront l’excédent des bagages.

Le lendemain nous sortions de prison, non sans reprocher à Menchet les nombreux larcins dont la caravane était victime. « Je ne vous ai rien volé ; Allah le sait. Les hommes de ma tribu sont d’honnêtes gens : ils conquièrent leur bien les armes à la main. S’il vous manque quelques objets, ils ont été pris par mes femmes ou mes enfants. Quels reproches adresser à ces êtres inférieurs, inconscients ? »

Une brume épaisse couvrait la plaine ; bientôt nous sommes entrés dans une claire forêt de tamaris dont les fleurs roses et le délicat feuillage, frangés de perles de rosée, scintillaient comme un limpide cristal. Dans ces pays infernaux, la végétation décèle toujours le voisinage d’une rivière ; le cours d’eau où s’abreuve la tribu de Menchet apparaît à travers les arbres. Traverser un gué profond est