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À SUSE.

mais il se consolerait de la ruine de ses palais en admirant, à la place où s’élevait l’apadâna royal, la maison française et un potager plein de promesses.

L’homme, si destructeur par tempérament, aime à créer par instinct. Ce n’est pas une des contradictions les moins flagrantes de sa nature.

Depuis plusieurs jours la mission est toute au bonheur de semer et de bâtir !

Ousta Hassan brandit la truelle et répare les brèches que les Arabes firent dans les murailles de notre immeuble avec l’espoir d’y trouver le trésor des Faranguis ; il divise en quatre compartiments le double corps de logis et prépare deux chambres, une salle à manger et un magasin où l’on enfermera chaque soir les objets précieux.

Pour couronner ce bel œuvre, les menuisiers vont placer les vantaux des deux portes extérieures, et poser de petits volets à des meurtrières orgueilleuses d’être traitées en fenêtres. Le mauvais temps nous condamne-t-il à garder la maison, on substitue aux volets un calicot baptisé, non sans raison, « verre dépoli incassable ».

Dès que nous aurons pris possession de notre palais, Jean-Marie et Mçaoud-pacha s’installeront sous les tentes. Il sera interdit à ce dernier, récemment arrivé de Dizfoul, où il a passé l’été, vêtu à la persane, cousu de dettes, mais entouré d’un harem princier, d’introduire dans le campement les membres féminins de sa trop nombreuse famille. Le tombeau du prophète héritera définitivement de ces purs et précieux trésors.

D’ailleurs, aucune difficulté à prévoir. La machine, si pénible à mettre en marche l’hiver passé, s’ébranle sans effort. Abdoul-Raïm exerce ses merveilleuses facultés de garnisaire pochtè kouh (de l’autre côté de la montagne) ; les nomades, nombreux sur les bords de la Kerkha, ravitaillent le camp.

Nos anciens ouvriers, craignant d’être devancés par des rivaux plus alertes, sont accourus et ont déjà saisi la pelle et la pioche.

Non seulement la mission jouit d’un bien-être inconnu jusqu’ici, mais ses aspirations mondaines sont plus que satisfaites. Nous sommes accablés de visites. Pour parler franc, quelques-unes nous arrivent par raccroc. Avant-hier je vis s’avancer sur la route de Dizfoul plusieurs cavaliers. Étaient-ce des hommes, des femmes ?… Peut-être un complément du harem de Mçaoud ? Quand ils furent à bonne distance, je reconnus les gros amamas bleus des descendants chiites du prophète ; l’un d’eux ne coiffait rien moins que l’imam djouma de Dizfoul.

Comment ce pieux personnage venait-il si tardivement rendre ses devoirs à Daniel ? Pourquoi le chef officiel de la religion voyageait-il dans ce mince équipage ?

Ces jours derniers, Mozaffer el Molk eut l’audace de décréter la levée d’un impôt sur le bas clergé de la région. Pareil crime n’avait jamais été commis en Arabistan. Plumés vifs, mollahs et akhondes jetèrent des cris d’orfraie ; mais, au